Accueil Compostelle 1 Chemins de terre Chemin d'eau Chemin de l'extase Choses vues Le bonheur parfait Histoire des chemins Poèmes égarés |
Je vous propose une sélection personnelle, très subjective, mais j'espère originale, de poèmes éclatés.
Poètes contemporains |
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Peu de plaisir, beaucoup de honte. J'essaierai tous ces corps pour rien. Si le remords me nourrissait je serais ronde.
Je me donne donc je suis. Qu'importe s'ils n'ont rien à prendre. Un instant je me sens libre, j'existe désespérée. Je suis fière quand je me couche. J'irradierai, la jambe ouverte.
Je me venge les bras en croix. Contre mon père, contre le monde, contre le soleil qui n'éclaire pas, contre la lune qui se moquera, Contre tout le froid qu'il fait.
André Frénaud
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Je conserve toutes ces choses en mes aisselles à la place des poils des herbes vaines ils ont dit aux filles de se raser douces et lisses de se foutre des fleurs chimiques au vagin cela va recommencer il va crier encore plus fort qu'on lui laisse la cuisine qu'on cesse de l'amputer de ses yeux tous les petits garçons s'appellent Steve c'est depuis que Grégoire est parti chercher de l'or on nous a mis à vendre pour payer le voyage tous les petits garçons s'appellent Steve finissent avant le commencement les poupées ne pissent plus elles pleurent lancent des grenades s'appellent à l'ordre dans mon lit je t'aime cela n'est pas assez loin pardon j'étais distraite ce n'est pas ce que je voulais dire l'amour va nous dépolluer la lune américaine Geneviève Amyot |
MESSIEURS,
Vous m'avez condamnée par contumace. Le couperet est tombé. Vous m'avez répudiée, coupable de ne pas marcher aux pas de vos rites ancestraux. Pourtant, Messieurs, je suis la favorite de l'herbe qui éclabousse de chaleur mes douceurs secrètes. J'ai pour le vent des faiblesses d'amante. Nue, j'aurais pu vous parler de mes vallons, de mes chemins ombreux, de mes jambes qui emprisonnent, de mes bras qui se tendent. Mes lèvres, Messieurs, auraient pu vous dire des mots de silence. Je ne vous parlerai que de mes tristesses. Vous ne saurez rien de mes danses de minuit .
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Je suis l'invitée de l'arbre, il a pour moi des tendresses mâles et rugueuses. L'orage me réserve des jouissances qui me fouillent. La poésie me fait crier de plaisir et de douleur. Vous auriez pu être ma poésie. Vous auriez pu être le vent, l'herbe et l'arbre dans l'orage.
Anne-Marie Derèse
* Sous un figuier d'Avignon L'ombre verte étais sucrée Par les larmes d'une figue. Georges Duhamel
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MOUVEMENTS Ii y a ceux qui vont au bout du monde pour se voir entre quatre horizons, ceux qui dérivent au loin pour se garder un espoir de retour et ceux qui partent, ô Baudelaire, pour partir. Ce sont gens de déroute d'exil et de grand vide qui prennent souffle dans le feu et le secret éclat des songes. A distance ils se tiennent proches d'un nuage en cavale d'une source perdue dans les yeux d'une fille ou du silence qui suit le rire trop vaste d'une tragédie sans objet. L'infini scintille à leur cou écharpe d 'herbe et de chimère pour ne pas dire de néant et de nuit. Ils ont depuis l' enfance le goût des saisons violentes des fruits qui agacent les dents des métaphores qui montent à la tête prenant sans cesse les devants et improvisant à tombeau ouvert. Sous leurs pas, la terre comme un gouffre une étreinte une blessure qui jubile de n'être ni refuge ni repos, la terre comme boulet de granit bille de bois globe de cendre sphère de froid boule de lave, la terre comme une marraine sans recours comme une marée sans rivage... Sages déchus prophètes qui n'êtes dignes celui qui nous voit ne peut croire que nous ne sommes point là campés bon pied dans l'histoire solides au poste et bon oeil mais déjà départis de nous déjà dénoués des autres déjà plus qu'à peine effacés... André Velters
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J'ai souvent éprouvé un sentiment d'inquiétude, à des carrefours. Il me semble dans ces moments qu'en ce lieu ou presque: là, à deux pas sur la voie que je n'ai pas prise et dont déjà je m'éloigne, oui, c'est là que s'ouvrait un pays d'essence plus haute, où j'aurais pu aller vivre et que désormais j'ai perdu. Yves Bonnefoy
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Il
a plu cette nuit.
Le chemin a l'odeur de l'herbe mouillée, Puis, à nouveau, la main de la chaleur Sur notre épaule, comme Pour dire que le temps ne va rien nous apprendre. Yves Bonnefoy
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Dans la vocifération blanche d'une tempête, on distingue parfois un flocon méritant. Mais le tumulte ne peut se l'adjoindre. Délaissé, il tombera seul, dans sa lourdeur tragique du temps. Hormis le poème, il n'est rien qui puisse aller à sa rencontre. François Jacqmin
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La
nuit ! La nuit surtout je ne rêve pas je vois J'entends je marche au bord du trou J'entends gronder R.G. Cadou |
Quelque fois j'ai plaisir à me taire et plus grand plaisir à chanter mes silences. Bernard Hreglich |
J'a laissé tant d'amour dans les villes d'Europe que je ne sais plus bien si j'ai aimé un jour un visage un regard un sourire une épaule ou vos rues villes vos rues à l'heure froide où je suis seul rentrant au long des parcs des quais sous le brouillard... je ne sais plus ton nom l'odeur non plus de ta poitrine J'ai besoin d'oublier cet amour dérisoire ce long chemin dans la clarté qui se consume l'odeur des tilleuls déchirante... Ô solitude je n'ai qu'une clé de chambre d'hôtel dans ma poche Je rentrerais très lentement Bernard Delvaille
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L'homme que vous voyez à genoux ne croyez pas qu'il prie. Il fait de sa vie maladroitement un paquet qu'il remettra ce soir à
la mort. André Schmitz
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Adieu, je m'en vais, (griffonna-t-elle). le poème est sous le paillasson. Il ouvre les portes intérieures. Moi
j'en ai besoin pour sortir. André Schmitz
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Libre au ciel de contenir de gros oiseaux et des nuages obèses et un dieu gras, ventru, à gros appétit, et des saintes bombées pour cause de grossesses mystiques. Et libre au poème d'y aller voir, là où on voit le rien, le tout, l'os et la graisse. Et libre à des riens d'être lourdement fabuleux. André Schmitz
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J'affirme sur l'honneur que je n'ai rien à voir avec moi-même. Je ne suis pas propriétaire du corps où je réside... Je suis le fils d'un enfant qui n'est pas encore né, L'époux sauvages d'une femme que je traverse et qui ne m'appartient pas. Une jeune fille quelque part tente encore d'être
ma mère. André Schmitz
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A l'enfant que je n'ai pas eu mais que d'un homme je reçus septante fois sept fois et davantage, à l'enfant sage dont je formai le souffle et le visage... enfant conçu, toujours inachevé, qu'on me fait, que je fais, à chaque fois que j'aime, qui se défait en moi pour donner un poème...
Liliane Wouters
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Ma tête dans le vent, mes pieds dans leurs chaussures, mon âme dans son corps. J'ignore où je m'en vais, la route n'est pas sûre, au
bout m'attend la mort. Liliane Wouters
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On s'en vient seul et on s'en va de même. On s'endort seul dans un lit partagé. On mange seul le pain de ses poèmes. Seul avec soi on se trouve étranger.
Seul à rêver que gravite l'espace, seul à sentir son moi de chair, de sang, Seul à pouvoir garder l'instant qui passe, Seul à passer sans se vouloir passant. Liliane Wouters
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Jésus-Christ est mort sur la croix, à Golgotha, selon les Ecritures, en compagnie de deux brigands.
Jésus-Christ est mort dans son lit, muni des sacrements de l'église.
Jésus-Christ est mort sur la paille il était sans travail de puis des mois.
Jésus-Christ est mort en quarante-trois, non loin de Munich, dans une chambre à gaz.
Jésus-Christ est mort à l'asile de vieillards.
Jésus-Christ est mort sur la chaise électrique, quelque part aux Etats-Unis, accusé d'avoir violé une blanche.
Jésus-Christ est mort de la peste noire, à Florence, au quatorzième siècle.
Jésus-Christ est mort sur l'autoroute, au volant d'une Maserati.
Jésus-Christ est mort aux Termophyles, à Marignan, à Stalingrad, à Hiroshima... Vahé Godel
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Pour vivre, il faut planter un arbre, il faut faire un enfant, bâtir une maison.
J'ai seulement regardé l'eau qui passe en nous disant que tout s'écoule.
J'ai seulement cherché le feu qui brûle en nous disant que tout s'éteint.
J'ai seulement suivi le vent qui fuit en nous disant que tout se perd.
Je n'ai rien semé dans la terre qui reste en nous disant : je vous attend.
Liliane Wouters
Un bonheur suavement brille
Anne-Marie D’AMOURS. |
Gloire
au coeur téméraire épris de l’impossible.
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Va au bout de ton chemin, va au bout de toi, jusqu’à l’absurde et plus loin encore. Je serai là, à ton arrivée, à ton arrêt, pour te souhaiter un nouveau départ dans ta métamorphose éternelle. Andrzej Swietochowski
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Jusqu'aux bords de ta vie Tu porteras ton enfance Ses fables et ses larmes Ses grelots et ses peurs
Tout au long de tes jours Te précède ton enfance Entravant ta marche Ou te frayant un chemin Andrée Chédid
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Qui que tu
sois, passant du ténébreux chemin Marche
seul et sois fier ; plein de morgue, relève
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Dans
cette usine ça sent l'éther ; et dans l'éther peinent les filles qui font et font des bas de soie pour d'autres filles R. Ganzo
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La
bêtise, C'est un mois de mai. Un mois de mai sans soleil, (Donc sans jupettes) Sans fleurs, Donc sans muguet) Où les jours fériés évidemment Tombent le samedi. D. Berry
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Nazim Hikmet naît en 1902 a Salonika et grandit à Istanbul. Il commence à écrire des poèmes à l'age de 17 ans. Attiré par les idées du marxisme, il va en Russie en 1922 où il rencontre Mayakovsky. A son retour en Turquie en 1928, il est persécuté pour ses opinions politiques. Il passe 17 ans des 22 années à venir en prison. En 1951, il doit fuir la Turquie et reste en exil jusqu'a sa mort à Moscou an 1963 ( où il ne pût rencontrer Anna Akhmatova, puisqu'elle était emprisonnée par les soviétiques!) |
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Je suis dans la clarté qui
s'avance
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La plus belle des mers est celle où l'on n'est pas encore allé. Le plus beau des enfants Ils
nous ont eus :
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...Le citoyen arménien n'a jamais pardonné que l'on ait égorgé son père sur la montagne kurde Mais il t'aime Parce que toi non plus tu n'as point pardonné A ceux qui ont marqué de cette tache noire le front du peuple turc.
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Tu
es un village de montagne en Anatolie, Tu es ma ville, toi la plus belle et la plus malheureuse. Tu es un appel au secours - bref, tu es mon pays ; les pieds qui accourent vers toi sont les miens |
Vivre comme un arbre, seul et libre, Vivre en frères comme les arbres d'une forêt, Ce rêve est le nôtre!
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Mes frères Si je n'arrive pas à vous dire correctement Ce que j'ai à vous dire, Vous m'en excuserez, Je suis gris, la tête me tourne légèrement Pas de raki, De faim, un tout petit peu. (écrit pendant sa grève de la faim, en prison en 1950)
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Au dessus de la mer le
nuage bariolé
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La
vie n'est pas une plaisanterie Tu la prendras au sérieux, Comme le fait un écureuil, par exemple, Sans rien attendre du dehors et d'au-delà Tu n'auras rien d'autre à faire que de vivre. La vie n'est pas une
plaisanterie,
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Mon siècle dont les derniers jours seront beau, Ma terrible nuit déchirée par des cris d'aurore, Mon siècle éclatera de soleil, ma bien-aimée, Comme tes yeux... |
Ses bottes ont disparus de nos places son ombre de nos arbres ses moustaches de nos potages ses yeux de nos chambres (sur Staline) |
Le
jour pointe mais ma chambre n'est qu'une longue nuit. |
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L'image de ma bien-aimée me parla un beau jour : "Je suis et elle n'est pas" dit-elle du fond du miroir. Je frappai, la glace se brisa, l'image disparut. Ma bien-aimée était toujours là-bas saine et sauve.
Elle m'embrassa :"Ce sont des lèvres réelles comme le monde", dit-elle "Ce parfum s'exhale de mes cheveux et non de ton imagination", dit-elle "Les étoile existent, bien que les aveugles ne les voient pas, Contemple-les dans le ciel ou dans mes yeux", dit-elle.
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... l'été a filé sous mon nez comme un train jaune aux wagons de bois sentant la sueur, la chair et le tabac.
Et dire que moi je voulais le voir venir comme celle qui m'apporte du lait chaud dans son seau de cuivre rouge. Tans pis, l'été n'est pas venu ainsi Ce n'est pas ainsi que l'été vient Non, pas ainsi, sacré nom d'un chien.
O toi, ma fille, ma mère, ma femme, ma sœur O toi qui a le soleil sur le front belle enfant aux yeux d'or mon enfant aux yeux d'or, Poussant des cris fous à tue-tête l'été m'a filé sous le nez sans que j'aie pu t'apporter un bouquet de violettes mauves. Que veux-tu les amis avaient faim on a mangé l'argent des violettes.
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Comme le scorpion, mon frère, Tu es comme le scorpion Dans une nuit d'épouvante. Comme le moineau, mon frère, Tu es comme le moineau, dans ses inquiétudes. Comme la moule, mon frère, tu es comme la moule enfermée et tranquille. Tu es terrifiant, mon frère, comme la bouche d'un volcan éteint. Et tu n'es pas un, hélas, tu n'es pas cinq, tu es des millions.
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Mon amour, la tête base, les yeux grands ouverts, dans le rougeoiement des villes incendiées, par les moissons piétinées, ils marchent, bruit de pas à l'infini.
Et les hommes sont massacrés, plus aisément, plus facilement, que les arbres et les bêtes.
Mon amour, ce bruit de pas, ce massacre, et pourtant... J'ai souvent perdu et ma liberté et mon pain, je t'ai souvent perdu, toi aussi, mais du plus profond de la faim, du plus profond des ténèbres, du plus profond des clameurs, je n'ai jamais perdu espoir dans les jours qui viendront, qui viendront frapper à notre porte de leurs mains rayonnantes de soleil...
Je suis heureux d'être venu au monde. J'aime sa terre et sa lumière, sa lutte et son pain. Notre univers, j'en connais le diamètre à un centimètre près, je sais qu'il n'est qu'un jouet comparé au soleil, pourtant, à mes yeux, il est incroyablement grand. Je voudrais le parcourir, voir des étoiles, des poissons, des fruits inconnus. Mais je n'ai connu l'Europe que par les livres et leurs images...
J'aime mon pays. J'ai marché sous ses platanes, J'ai dormi dans ses prisons. Seuls dissipent mon cafard son tabac et ses chansons. Mon pays : Bedrettine, Sinan, Younous Emré. Les coupoles de plomb et les cheminées d'usine sont l'œuvre de mon peuple, qui sait si bien rire de tout, en douce.
Mon pays : il est immense, mon pays, on n'en finirait pas de le parcourir, vous semble-t-il. Andrinople et Smyrne et Marache, Trébizonde et Erzouroum. Le plateau d'Erzouroum, je ne le connais que par ses chansons. Et j'ai honte de n'avoir jamais franchi le Taurus, pour aller vers le sud, vers les cueilleurs de coton.
Mon pays : des trains et des chameaux, des Fords et des ânes chétifs, des peupliers, des saules, une terre rougeâtre.
Mon pays : ses forêts de sapins, ses eaux si douces, ses lacs de montagne où nagent les truites truites d'une livre, sans écailles, au corps d'argent qui rougeoie, du lac d'Abant.
Mon pays : les chèvres de la plaine d'Ankara, l'éclat de leurs longs poils blonds et soyeux, et les grasses noisettes de Giressoun, et les pommes d'Amassya, aux joues rouges et au parfum de mus
Et les olives, et les figues, et les melons, et les raisins aux grappes bigarrées, et les charrues de bois, et les boeufs noirs. Et puis les hommes de cette terre, laborieux, honnêtes, courageux, enfants admiratifs et joyeux devant tout ce qui est beau et ce qui est bon, le ventre creux, presque esclaves, les hommes de ma terre...
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(Sélection
de Marie Lautrou)
George Brassens
DON JUAN
Gloire à qui freine à mort, de peur d'écrabouiller
Le hérisson perdu, le crapaud fourvoyé
Et gloire à don Juan, d'avoir un jour souri
A celle à qui les autres n'attachaient aucun prix
Cette fille est trop vilaine, il me la faut
Gloire au flic qui barrait le passage aux autos
Pour laisser traverser les chats de Léautaud
Et gloire à don Juan d'avoir pris rendez-vous
Avec la délaissée, que l'amour désavoue
Cette fille est trop vilaine, il me la faut
Gloire au premier venu qui passe et qui se tait
Quand la canaille crie haro sur le baudet
Et gloire à don Juan pour ses galants discours
A celle à qui les autres faisaient jamais la cour
Cette fille est trop vilaine, il me la faut
Et gloire à ce curé sauvant son ennemi
Lors du massacre de la Saint-Barthélémy
Et gloire à don Juan qui couvrit de baisers
La fille que les autres refusaient d'embrasser
Cette fille est trop vilaine, il me la faut
Et gloire à ce soldat qui jeta son fusil
Plutôt que d'achever l'otage à sa merci
Et gloire à don Juan d'avoir osé trousser
Celle dont le jupon restait toujours baissé
Cette fille est trop vilaine, il me la faut
Gloire à la bonne sour qui, par temps pas très chaud
Dégela dans sa main le pénis du manchot
Et gloire à don Juan qui fit reluire un soir
Ce cul déshérité ne sachant que s'asseoir
Cette fille est trop vilaine, il me la faut
Gloire à qui n'ayant pas d'idéal sacro-saint
Se borne à ne pas trop emmerder ses voisins
Et gloire à don Juan qui rendit femme celle
Qui, sans lui, quelle horreur, serait morte pucelle
Cette fille est trop vilaine, il me la faut
Guillaume Apollinaire (1880 - 1918)
Le Bestiaire ou Cortège d'Orphée
À Élémir Bourges
Le
chat
Je souhaite dans ma maison :
Une femme ayant sa raison,
Un chat passant parmi les livres,
Des amis en toute saison
Sans lesquels je ne peux pas vivre.
Le
lion
Ô lion, malheureuse image
Des rois chus lamentablement,
Tu ne nais maintenant qu'en cage
À Hambourg, chez les Allemands.
Le
lièvre
Ne sois pas lascif et peureux
Comme le lièvre et l'amoureux.
Mais que toujours ton cerveau soit
La hase pleine qui conçoit.
Le
lapin
Je connais un autre connin
Que tout vivant je voudrais prendre.
Sa garenne est parmi le thym
Des vallons du pays de Tendre.
La
souris
Belles journées, souris du temps,
Vous rongez peu à peu ma vie.
Dieu ! Je vais avoir vingt-huit ans
Et mal vécus, à mon envie.
L'éléphant
Comme un éléphant son ivoire,
J'ai en bouche un bien précieux.
Pourpre mort !... J'achète ma gloire
Au prix des mots mélodieux.
La
mouche
Nos mouches savent des chansons
Que leur apprirent en Norvège
Les mouches ganiques qui sont
Les divinités de la neige.
Le
poulpe
Jetant son encre vers les cieux,
Suçant le sang de ce qu'il aime
Et le trouvant délicieux,
Ce monstre inhumain, c'est moi-même.
La
méduse
Méduses, malheureuses têtes
Aux chevelures violettes
Vous vous plaisez dans les tempêtes,
Et je m'y plais comme vous faites.
Le
hibou
Mon pauvre cœur est un hibou
Qu'on cloue, qu'on décloue, qu'on recloue.
De sang, d'ardeur, il est à bout.
Tous ceux qui m'aiment, je les loue.
La chèvre du Thibet
Les poils de cette chèvre et même
Ceux d'or pour qui prit tant de peine
Jason, ne valent rien au prix
Des cheveux dont je suis épris.
Le
cheval
Mes durs rêves formels sauront se chevaucher,
Mon destin au char d'or sera ton beau cocher
Qui pour rênes tiendrz tendus à frénésie,
Mes vers, les parangons de toute poésie.
Hermann Melville1819-1891
Commémoration d'une bataille navale
Les marins sont de très noble naissance,
Et forts comme toute faveur ;
Discipline des armes rendent subtil et vague confère maîtrise.
Le damas peut darder son éclat
Prêtant l'ultime grâce :
Faucon, Chien et gentilhomme à l'épée,
Dans le portrait du Titien pour un roi
son race de chasseurs et guerrier.
Hôte choisit dans les salons mondains
En les années qui suivent la victoire,
Qu'il est doux de sentir sa renommée
À l'œil instinctif de la femme ;
Sérénité _ célèbre votre action
Qui parfume un vin d'ambre
Qui vit s'illumine de jours glorieux,
Riche comme les crépuscules bruns d'octobre,
Et fait resplendir le lieu nu.
Il est rare pourtant que la couronne de lauriers
Ne se conjugue aux sombres fleurs pensives ;
Lumière et ombre se partagent l'homme
Qui à la fin devient de marque,
À maintenir la nuit, l'impalpable étincelle.
Exulter il ne peut :
Il sent que les esprits qui vantaient sa valeur
Dorment dans l'oubli. _ Le requin
Glisse, blanc, sur
la mer de phosphore.
Jules
LAFORGUE
Poète Français (1860-1887)
La cigarette
Oui, ce monde est bien plat; quant à l'autre, sornettes.
Moi, je vais résigné, sans espoir, à mon sort,
Et pour tuer le temps, en attendant la mort,
Je fume au nez des dieux de fines cigarettes.
Allez, vivants, luttez, pauvres futurs squelettes.
Moi, le méandre bleu qui vers le ciel se tord
Me plonge en une extase infinie et m'endort
Comme aux parfums mourants de mille cassolettes.
Et j'entre au paradis, fleuri de rêves clairs
Ou l'on voit se mêler en valses fantastiques
Des éléphants en rut à des chours de moustiques.
Et puis, quand je m'éveille en songeant à mes vers,
Je contemple, le cour plein d'une douce joie,
Mon cher pouce rôti comme une cuisse d'oie.
Jules Laforgue
Dylan Thomas 1914-1953
N’ENTRE PAS SANS VIOLENCE
DANS CETTE BONNE NUIT
N’entre pas sans violence dans cette bonne nuit,
Le vieil âge devrait brûler et s’emporter à la chute du jour ;
Rager, s’enrager contre la mort de la lumière.
Bien que les hommes sages à leur fin sachent que l’obscur est mérité,
Parce que leurs paroles n’ont fourché nul éclair ils
N entrent pas sans violence dans cette bonne nuit.
Les hommes bons passée la dernière vague, criant combien clairs
Leurs actes frêles auraient pu danser en une verte baie
Ragent, s’enragent contre la mort de la lumière.
Les hommes violets qui prirent et chantèrent le soleil en plein vol,
Et apprennent, trop tard, qu’ils l’ont affligé dans sa course,
N’entrent pas s ans violence dans cette bonne nuit.
Les hommes graves, près de mourir, qui vient de vue aveuglante
Que leurs yeux aveugles pourraient briller comme météores et s’égayer,
Ragent, s’enragent contre la mort de la lumière.
Et toi mon père, ici sur la triste élévation
Maudis, bénis-moi à présent avec tes larmes violentes, je t’en prie.
N’entre pas sans violence dans cette bonne nuit.
Rage, enrage contre la mort de la lumière.
Ludovic Janvier
EMMA
LA MER
Ces quelques minutes à longer la mer
c'était cruel en compagnie d'Emma
toujours à longer jamais allongés
toujours à bander jamais d'abandon
Emma me dit non parle-moi
parle-moi d'amour parle-moi d'Emma
tu ne veux pas parlons du temps qu'il fait
il fait un soleil à désespérer
mais avec Emma fini d'espérer
avant d'avoir seulement commencé
tu as tort Emma moi la douceur même
ou je ne sais pas parlons politique
dis-moi ce que tu lis en ce moment
elle a l'air inculte or elle a un cul
mais délicieux clair comme un sourire
ah qu'avec Emma ça devient amer
ces longues minutes à longer la mer
dans Doucement avec l'ange 2001
Gherasim Luca 1913- 1994
Dans une des régions
les plus raffinées de l'esprit
où je campais au pied de la lettre
à une altitude de nul pied
plane un petit nombre
d'idées très particulières
qu'il eût été dommage de ne pas saisir
au vol de mes distractions
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(...)Je te lune
tu me nuage
tu me marée haute
Je te transparente
tu me pénombre
tu me translucide
tu me château vide
et me labyrinthe
Tu me paralaxe
et me parabole
tu me debout
et couché
tu m'oblique(...)
Paralipomènes 1976sim
Verte est l’eau, verte
La grave et voluptueuse musique du soleil ;
Les doigts pâles et fragiles d’une reine
Sur son corps s’abaissent et courent.
Dans ces lents couloirs de cathédrale
Noyée de lumière hachurée,
Il s’unit en de verts combats de caresses
Aux sirènes rousses et brunes.
En choisir une pour son lit
Tandis que le berce et l’endort
La musique faiblissante du soleil
Devenue
requiem au prisme de la mer.
William
Faulkner 1897-1962
Un rameau vert 1933
Stéphane Mallarmé
La chair est triste, hélas ! et j'ai lu tous les livres.
Fuir ! là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres
D'être parmi l'écume inconnue et les cieux !
Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux
Ne retiendra ce coeur qui dans la mer se trempe
Ô nuits ! ni la clarté déserte de ma lampe
Sur le vide papier que la blancheur défend
Et ni la jeune femme allaitant son enfant.
Je partirai ! Steamer balançant ta mâture,
Lève l'ancre pour une exotique nature !
Un Ennui, désolé par les cruels espoirs,
Croit encore à l'adieu suprême des mouchoirs !
Et, peut-être, les mâts, invitant les orages,
Sont-ils de ceux qu'un vent penche sur les naufrages
Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots ...
Mais, ô mon coeur, entends le chant des matelots !
« J'aimerais vivre avec Vous -
Dans une petite ville
Aux crépuscules éternels,
Aux éternelles cloches -
Avec la sonnerie délicate
D'une horloge ancienne - les gouttes du temps -
Dans une auberge de campagne.
Et le soir, quelquefois, d'une mansarde à l'autre -
Une flûte,
Et le flûtiste à la fenêtre.
Et de grandes tulipes aux fenêtres.
Vous ne m'aimeriez, peut-être, même pas. »
Marina Tsvétaïeva, Pour Akhmatova, in L'Offense lyrique & autres poèmes,
« Quand il n'y aurait que ces longs jours disparaissants, le dédain de la
louange et la haute surveillance contre l'injustice - et le matin qui se
disloque à la fenêtre et les pans d'arbres vifs sous la hache des trains
Quand il n'y aurait que l'homme debout, voué au jour, ceinturé de peau,
attendant du morfil des vents qu'il invente le défaut de l'âme [.]
Mais quand il n'y aurait que cela : la joie de l'enfant dès le début du jour
; et l'adulte passion de retrouver l'amour dont nous fûmes privés »
Michel Deguy, Fragment du cadastre in Ouï dire, Gallimard, Collection
Poésie, pp. 12-13.
Une voix
I
Tout cela, mon ami,
Vivre, qui noue
Hier, notre illusion,
À demain, nos ombres.
Tout cela, et qui fut
Si nôtre, mais
N'est que ce creux des mains
Où eau ne reste.
Tout cela ? Et le plus
Notre bonheur :
L'envol lourd de la huppe
Au creux des pierres.
Yves Bonnefoy, La Pluie d'été
in Les Planches courbes,
Gallimard, Collection Poésie, 2001,
Au porc-épic admirable.
Attention !
Le
poison, les coups de bêches, la circulation, la civilisation,
Tout m’inquiète
Même si tu as
Pour toi- les levers de lune, les soirs où la lumière dure, le vol du héron,
le chant de la nuit, la
chaleur de la terre et de madame hérisson.
Attention
!
Toi, que l’armurier génial du règne animal a doté de la plus savante des
cuirasses
Cheminant
Tu périras en nombre
Sans savoir pourquoi.
Au
matin ,je te ramasserai
Tout plat.
Gaetano Pesce.
Issa(1763-1827)
Le crapaud! on dirait
qu'il va vomir
un nuage
*
la mère du moineau
lui réclamant son enfant
poursuit le chat
*
Le vent du printemps découvre
les fesses
Du couvreur
*
Se détachant dans le soir
sur le pâle ciel bleu
rang sur rang les montagnes d'automne
*
L'arracheur de navets
montre le chemin
avec un navet
*
Avec moi elle lute
A qui fermera les yeux le premier
la grenouille
*
Oie, oie sauvage
Tu l'as fait à quel âge
Ton premier voyage?
*
comme mon cour est léger
comme l'air est frais.
*
du vin pour dormir
et que mes années s'en aillent
ou non que m'importe
Les
poètes lèvent des mains
où tremblent de vivants vitriols,
sur les tables de ciel idole
s'arc-boute, et le sexe fin
trempe une langue de glace
dans chaque trou, dans chaque place
que le ciel laisse en avançant.
Le sol est tout conchié d'âmes
et de femmes au sexe joli
dont les cadavres tout petits
dépapillotent leurs momies.
Antonin Artaud, L'Ombilic des limbes
Toit
Tiens non ! J’attendrai tranquille,
Planté sous le toit,
Qu’il me tombe quelque tuile,
Souvenir de Toi !
J’ai tondu l’herbe, je lèche
La pierre, – altéré
Comme la Colique-sèche
De Miserere !
Je crèverai – Dieu me damne – !
Ton tympan ou la peau d’âne
De mon bon tambour !
Dans ton boîtier, ô Fenêtre !
Calme et pure, gît peut-être...
........................................
Un vieux monsieur sourd
Tristan Corbière
Les Amours jaunes
La
rue assourdissante autour de moi hurlait.
Longue, mince, en grand deuil, douleur majestueuse,
Une femme passa, d'une main fastueuse
Soulevant, balançant le feston et l'ourlet ;
Agile et noble, avec sa jambe de statue.
Moi, je buvais, crispé comme un extravagant,
Dans son oeil, ciel livide où germe l'ouragan,
La douceur qui fascine et le plaisir qui tue.
Un éclair... puis la nuit ! - Fugitive beauté
Dont le regard m'a fait soudainement renaître,
Ne te verrai-je plus que dans l'éternité ?
Ailleurs, bien loin d'ici ! trop tard ! jamais peut-être !
Car j'ignore où tu fuis, tu ne sais où je vais,
Ô toi que j'eusse aimée, ô toi qui le savais !
Charles BAUDELAIRE (1821-1867)
Eugène Guillevic
Regarder
Avant de regarder
Par la fenêtre ouverte,
Je ne sais pas
Ce que ce sera.
Ce n’est pas
que ce soit la première fois.
Depuis des années
Je recommence
Au même endroit,
Par la même fenêtre.
Pourtant je ne sais pas
Ce que mon regard, ce soir,
Va choisir dans cette masse de choses
Qui est là,
Dehors.
Ce qu’il va retenir
Pour son bien-être.
Il peut aller loin.
Peu de couleurs.
Peu de courbes.
Beaucoup de lignes.
Des formes,
Accumulées
Par des générations.
Je laisse à mon regard
Beaucoup de temps,
Tout le temps qu’il faut.
Je ne le dirige pas.
Pas exprés.
J’espère que ce soir
Il va trouver de quoi :
Par exemple
Un toit, du ciel.
Et que je vais pouvoir
Agréer ce qu’il a choisi,
L’accueillir en moi,
Le garder longtemps.
Pour la gloire
De la journée.
Etier,
éd. Gallimard, 1978
Andrée Chédid
Jusqu'aux bords de ta vie
Tu porteras ton enfance
Ses fables et ses larmes
Ses grelots et ses peurs
Tout au long de tes jours
Te précède ton enfance
Entravant ta marche
Ou te frayant un chemin
François Villon
Ballade
de merci
À Mendiants et à Dévotes,
À musards et claquepatins,
À servans et filles mignottes
Portants surcots et justes cottes,
À cuidereaux d'amour transis,
Chaussants sans méhaing fauves bottes,
Je crie toutes gens mercis.
À fillettes montrant tétins,
Pour avoir plus largement hôtes,
À ribleurs, mouveur de hutins,
À bateleurs, traînant marmottes ;
À fols, folles, à sots et sottes,
Qui s'en vont sifflant six à six,
À vessies et mariottes,
Je crie à toutes gens mercis.
Sinon aux traîtres chiens mâtins
Qui m'ont fait chier dures crottes
Mâcher maints soirs et maints matins,
Qu'ore je ne crains pas trois crottes.
Je fisse pour eux pets et rottes,
Je ne puis car je suis assis.
Au fort pour éviter riottes,
Je crie à toutes gens mercis.
Qu'on leur froisse les quinze côtes
De gros maillets forts et massis,
De plombée et tels pelotes
Je
crie à toutes gens mercis.
TU ES PLUS BELLE QUE
LE CIEL ET LA MER
Quand tu aimes il faut partir
Quitte ta femme quitte ton enfant
Quitte ton ami quitte ton amie
Quitte ton amante quitte ton amant
Quand tu aimes il faut partir
Le monde est plein de nègres et de négresses
Des femmes des hommes des hommes des femmes
Regarde les beaux magasins
Ce fiacre cet homme cette femme ce fiacre
Et toutes les belles marchandises
Il y a I'air il y a le vent
Les montagnes l'eau le ciel la terre
Les enfants les animaux
Les plantes et le charbon de terre
Apprends a vendre à acheter à revendre
Donne prends donne prends
Quand tu aimes il faut savoir
Chanter courir manger boire
Siffler
Et apprendre à travailler
Quand tu aimes il faut partir
Ne larmoie pas en souriant
Ne te niche pas entre deux seins
Respire marche pars va-t'en
Je prends mon bain et je regarde
Je vois la bouche que je connais
La main la jambe Le l'oil
Je prends mon bain et je regarde
Le monde entier est toujours là
La vie pleine de choses surprenantes
Je sors de la pharmacie
Je descends juste de la bascule
Je pèse mes 80 kilos
Je t'aime
Blaise Cendrars, Feuilles de route, 1924
Extrait de I remember de Joe Brainard
( c'est ce livre, prêté par Harry Mathews, qui inspira Je me souviens à Georges Perec )
Je
me souviens des vestiaires et de l'odeur des vestiaires.
Je me souviens d'un sol de ciment peint en vert foncé couvert de traces de pas mouillés allant dans toutes les directions. De serviettes blanches et minces. De peu de regards échangés.
Je me souviens d'un garçon avec une bite absolument énorme. Et il le savait. Il était toujours le dernier à être habillé. (Mettant ses chaussettes d'abord.)
Je me souviens que je m'habille complètement avant de mettre mes chaussettes.
Je me souviens de Gene Kelly comme “ n'ayant pas de paquet ” .
Je me souviens du scandale que causa le costume de Jane Russell dans The French Line.
Je
me souviens de Jane Russell en pin-up sur une photo en couleurs à déplier dans
Esquire, avec une épaule dénudée et à moitié renversée
sur une botte de
paille.
Francis Ponge 1899-1988
Goût, vue, ouïe, odorat…
C'est instantané :
Lorsque le poisson de mer cuit
à l'huile s'entrouvre, un jour
de soleil sur la nappe, et que les
grandes épées qu'il comporte
sont prêtes à joncher le sol,
que la peau se détache comme
la pellicule impressionnable
parfois de la plaque exagérément
révélée (mais tout ici est
beaucoup plus savoureux), ou
(comment pourrions-nous dire
encore?)…Non, c'est trop bon!
Ça fait comme une boulette
élastique, un caramel de peau
de poisson bien grillé au fond de la poêle…
Goût, vue, ouies, odaurades:
cet instant safrané…
C'est alors, au moment qu'on
s'apprête à déguster les filets
encore vierges , oui ! Sète alors
que la haute fenêtre s'ouvre, que
la voilure claque et que le pont
du petit navire penche
vertigineusement sur les flots,
Tandis qu'un petit phare de vin
Doré _ qui se tient bien vertical
sur la nappe _ luit à notre
portée.
René Char 1907-1988
Nous ne sommes tués que par la vie
La
mort est l'hôte. Elle délivre la maison de son enclos et la pousse
à
l'orée du bois.
Soleil
jouvenceau, je te vois ; mais là ou tu n'es plus.
PERMANENT INVISIBLE
Proche, proche invisible et si proche à mes doigts,
Ô mon distant gibier la nuit où je m’abaisse
Pour un novice corps à corps.
Boire frileusement, être brutal répare.
Sur ce double jardin s’arrondis ton couvercle.
Tu as la densité de la rose qui se fera.
Jude Stéphan
Arthur Rimbaud 1854-1891
À
UNE RAISON
et commence la nouvelle harmonie.
Un pas de toi, c'est la levée des nouveaux hommes et leur
en marche.
Ta tête se détourne : le nouvel amour ! Ta tête se retourne,
__ le nouvel amour !
"Change nos lots, crible les fléaux, à commencer par le
temps ", te chantent ces enfants.
" Élève n'importe où la substance de nos fortunes et
de nos vœux" on t'en prie,
Arrivée de toujours, qui t'en iras partout.
Robert Pinget
Cher mystique dit-il à quelqu'un ne t'inquiète de rien, à force de
brûler tu finiras bien
par être en cendres.
Tout ça ne décolle toujours pas.
L'ange du matin reste muet celui du midi bavarde.
Attendre l'ange du soir.
Et s'endormir.
Vous dites le silence est l'arme du diable.
Mais est-ce que le diable existe, cher monsieur?
Oui, à voir votre gueule.
Ayant oublié toute prétention à la littérature monsieur Songe s'avise
un jour que plus rien
ne l'intéresse. Seul en fin d'après-midi le déclin du soleil le
réconforte.
Il devrait donc dans son carnet ne noter que la couleur du ciel, la
forme des nuages, l'heure du coucher.
Ne désespérerez pas cher ami. À force de mourir votre enfance
renaîtra
Quitte à vous attirer quelques rires.
O
Prenez garde. À tant battre votre coulpe vous finirez par être coupable.
(Taches d'encres)
Raymond Queneau 1903-1976
DROLE D’ANIMAL
Au fond des fourrés de la fôret
il y a un drôle d’animal
il est sensible insensible ni bien ni mal
il n’attaque pas son semblable
ni l’autre
il ne ratisse pas le végétal
pour sa consommation courante
souvent il reste là
ou bien ici
il se reproduit sans histoires
il existe
parfois il murmure
dans les feuilles
Arthur Miller
Matisse
est enchaîné par les faits irréversibles de la vie. Il est l’homme
qui,si quelqu’un possède ce don de nos jours,a le courage de sacrifier
une ligne harmonieuse afin de déceler le rythme et le murmure du sang,il
est celui qui sait la lumière en lui et lui laisse inonder le clavier des
couleurs…
Tropique du Cancer
Benjamin Péret (1899-1959)
LES ENFANTS RIENT
MAIS QUE FONT LEURS PARENTS ?
L’acide te dévore
Faute de veau on fauche le foin
Mais
Souple corvette de mon cœur
Ménage le sel
Le sel te dévore
Souple corvette de mon cœur
Prends garde
On construit des maisons
Un peu partout
Sur le sable des moulins
Sur le ventre des femmes
Et les enfants naissent sous les yeux des tortues
Prends garde
Souple corvette de mon cœur
Voici l’époque de la moisson.
je suis si loin des voix
Des rumeurs de la fête
Le moulin d'écume tourne à rebours
Le sanglot des sources s'arrête
L'heure a glissé péniblement
Sur les grandes plages de lune
Et dans l'espace tiède étroit sans une faille
je dors la tête au coude
Sur le désert placide du cercle de la lampe
Temps terrible temps inhumain
Chassé sur les trottoirs de boue
Loin du cirque limpide qui décline des verres
Loin du chant décanté naissant de la paresse
Dans une âpre mêlée de rîtes entre les dents
Une douleur fanée qui tremble à tes racines
je préfère la mort l'oubli l'a dignité
je suis si loin quand je compte tout ce que j'aime
le chant des morts 1945
Feng Zhi1905-
Notre vie en cet instant sera
L'image de la première étreinte :
Peine et joies passées se fondront
Dans une forme unique et sans faille.
Nous envions ces fragiles insectes
Dont , consommé le seul accouplement
Ou affronté l'unique péril,
S'achève la merveilleuse vie. Ainsi
Nous attendons ,notre vie durant, que
Souffle l'ouragan, surgisse la comète.
LES VEILLÉES DES GRANDS
ENSEMBLES
Reine du monde est la Trouille
Qui prit l'oubli pour mari,
Ensemble ils firent l'Histoire
Dont nous sommes les petits
Qui cherchons dans la nuit noire
Le pape qui a promis
Qu'on verrait finir en gloire,
Hosanna ce sac d'embrouilles.
À quoi tu penses
Federico Garcia Lorca1898-1936
COQUILLAGE
On m'a offert un coquillage
Il
y chante
Une mer de mappemonde
Et l'eau emplit mon cœur
avec ses petits poissons
d'ombre et d'argent.
.
On
m'a offert un coquillage.
Etienne Jodelle 1532-1573
Sonnet
Je me trouve et me pers, je m'asseure et m'effroye,
En ma mort je revi, je voy sans penser voir,
Car tu as d'éclairer et d'obscurcir le pouvoir,
Mais tout orage noir de rouge éclair flamboye.
Mon front qui cache et monstre avec tristesse, joye,
Le silence parlant, l'ignorance au sçavoir,
Tesmoignent mon hautain et mon humble devoir,
Tel est tout cour, qu'espoir et desespoir guerroye.
Fier en ma honte et plein de frisson chaloureux,
Blasmant, louant, fuyant, cherchant,l'art amoureux,
Demi-brut, demi-dieu je suis devant ta face,
Quand d'un oil favourable et rigoureux, je croy,
Au retour tu me vois, moy las ! Qui ne suis moy :
Ô clair voyant aveugle, ô amour, flamme et glace
Fernando Pessoa1888-1935
Comme les ruisseaux et les arbres
Et dieu nous aimera
Nous rendant
Beaux comme les arbres et les ruisseaux
Et il nous donnera la verdeur de ses printemps et
un fleuve où se jeter lorsque viendra la fin
Le gardeur de troupeau
Pierre Albert-Birot 1876-1967
POEME GENRE DIDACTIQUE
Pour faire un poème
Pardonnez-moi ce pléonasme
Il suffit de se promener
Quelquefois sans bouger
Regardez dehors et dedans
Avec toutes les cellules
De votre vous
Et voici que vous êtes riche
Pour aujourd'hui
Ne faîtes pas le nouveau riche
Apprenez les bonnes manières
Car la fortune est peu de chose
A qui ne sait pas s'en servir
Vous voici fécondés
Travaillez façonnez polissez assemblés
Tous ces immatériels matériaux
Maintenant
Que vous avez reçu le monde en vous
Portez le monde qui va naître
Obéissez
Parfois aux lois des autres
Parfois aux vôtres
Parfois encore et surtout
À la Loi
Qui n'est ni des autres ni de vous
Et vous serez aimés
Des mots des sons des rythmes
Qui s'ordonneront pour vous plaire
Soyez triple comme un dieu
Ou plutôt comme une mère
Et naîtra le poème
Mais j'aurais dû tout simplement vous dire
Copiez copiez
Religieusement
Et vous ferez un poème
À condition que vous soyez poète
La lune ou le livre des poèmes
Jacques Prévert en 1945
DIMANCHE
Entres les rangées d’arbres de l’avenue des Gobelins
Une stature de marbre me conduit par la main
Aujourd’hui c’est dimanche les cinémas sont pleins
Les oiseaux dans les branches regardent les humains
Et la statue m’embrasse mais personne ne nous voit
Sauf un enfant aveugle qui nous montre du doigt.
par amour
des hommes meurent
et moi je m’use en dedans
comme peu d’eau sous les galets d’une rivière
avec les mois avec les jours avec le temps
Kasa poète japonais VIIIe siècle
William Cliff
COÎT
Alors tu sens…tu sens ma bitte dans ton trou de balle
Tu sens mon gland qui frotte et masse ta prostate
Tu n'es qu'à moi tu n'iras pas courir ailleurs
Hein ? sinon tu sentiras du fouet sur ta chair
Tu sentiras, mes ongles mettre tes fesses en sang
Et ton corps enchaîné au wécé tout un an.
Bave-moi dans la bouche que tu n'aimes que moi !
Ah ! soupire et gémis ! Aboie-moi ton amour
Avant que tout finisse en sperme gaspillé
Dans la merde inutile de ton cul sans bébé.
Gratte -toi les pieds délecte-toi de l'odeur
Cueillie aux coins les plus sordides de ton corps
C'est tout ce qui te reste, je suppose alors
Goûte et savoure cette abjection avant que mort
S'ensuive et vide ta vie aux charniers encor
Plus vils, à la vermine qui te baisera encor
Plus fort.
Henri Michaux 1899-1984
MES OCCUPATIONS
Je peux rarement voir quelqu’un sans le battre. D’autres préfèrent le
monologue intérieur. Moi, non. J’aime mieux battre.
Il y a des gens qui s’assoient en face de moi au restaurant et ne disent rien, ils restent un certain temps, car ils ont décidé de manger.
En voici un.
Je te l’agrippe, toc.
Je te le ragrippe,toc.
Je le pends au porte- manteau.
Je le décroche.
Je le repends.
Je le redécroche.
Je le mets sur la table, je le tasse et l’étouffe.
Je le salis, je l’inonde.
Il revit.
Je
le rince, je l’étire(je commence à m’énerver, il faut en finir), je le
masse, je le serre, je le résume et l’introduis dans mon verre,
et jette ostensiblement le contenu par terre, et dis au garçon : « Mettez-moi
donc un verre plus propre. »
Mais je me sens mal, je règle promptement l’addition et m’en vais.
La nuit remue 1935
Ossip Mendelstam1891-1938
L'immense abîme est sombre et transparent,
la fenêtre langoureuse blanchit .
Qu'est-ce qui fait le chœur si lentement
Et si obstinément s'appesantir,
Tantôt il coule vers le fond de tout son poids,
Ayant du cher limon la nostalgie,
Ou, brin de paille, il remonte soudain
Et fait surface sans effort.
Avec une feinte douceur, reste au chevet
Et sois toute ta vie par toi-même bercé.
Souffre de ton angoisse comme d'une fable
Et sois tendre avec le superbe ennui.
Tristia 1910