Il y a dans la pratique du fragment quelque chose qui absout et
même encourage la promenade en zigzag,
celle des oiseaux ou des enfants : quand les formes longues demandent souvent
votre reddition,
les formes brèves ne veulent que votre réaction.
On est touché et même parfois
bouleversé lorsqu'on lit un texte poétique par quelques
vers, parfois un seul,
ce sont ceux dont on ce souvient toute notre vie. Le
vers est quelque chose de plus que les mots qui le composent
et son pouvoir et
sa beauté excèdent la leurs.
Les
vers du poète conservent du sens, même lorsqu'ils sont détachés des autres, et
plaisent isolés. On dirait des paroles lumineuses, de l'or, des perles, des
diamants et des fleurs.
Ce penchant est
sûrement
lié à l'influence de la poésie japonaise qui dissocie et privilégie le
détail, les miettes
en opposition à la notre qui construit un ensemble global et le finalise.
Je vous propose une sélection personnelle,
très subjective mais,
j'espère, originale de
poèmes
éclatés.
André Cayrel
De
toutes merveilles en ce monde
La plus grande merveille est l'homme.
Sur les abîmes de la mer,
Sur les vagues et dans les tempêtes
Soulevé par le vent du sud,
Il s'aventure et il chemine.
Sophocle
|
CET
ARBRISSEAU
QUI
SE PRÉPARE
A
FRUCTIFIER
TE
RES
SEM
BLE
Apollinaire |
Au vide
de son cœur peut on s’accoutumer,
Quand on a contracté l’habitude d’aimer ?
??? |
Ne pensons pas, rêvons. Laissons faire à leur guise
Le bonheur qui s'enfuit et l'amour qui s'épuise,
Et nos cheveux frôlés par l'aile des hiboux.
Oublions d'espérer. Discrète et contenue,
Que l'âme de chacun de nous deux continue
Ce calme et cette mort sereine du soleil.
Verlaine
|
Que
si j'étais placé devant cette effigie
Inconnu de moi-même, ignorant de mes traits,
A tant de plis affreux d'angoisse et d'énergie,
Je lirais mes tourments et me reconnaîtrais!
Paul Valery |
La
fille de Minos et de Pasiphaé
...
J'aimais, Seigneur, j'aimais, je voulais être aimé
...
Racine
|
Où
êtes vous? mes lys? mes roses?
Pour votre propre mort,on a fait de vous des couronnes
J'ai vu noyées mes renoncules
dans l'eau rapide de leur ridicule.
Roland Dubillard |
Comme tombe avec la lourdeur de ta tristesse
ta larme, qui pèse à peine cependant.
Dubillard |
J’étais au milieu
de la forêt, il y avait deux chemins devant moi, j’ai pris celui qui
était le moins empruntés, et là, ma vie a commencée.
R.Frost.
|
Le Paris que
vous aimâtes
N'est pas
celui que nous aimons
Et nous nous
dirigeons sans hâte
Vers celui
que nous oublierons.
R. Queneau
|
Le
jour est la pulpe d'un fruit
dont le soleil serait le noyau.
Ponge |
L'émoi
c'est tout dans la vie!
Faut savoir en profiter!
L'émoi c'est tout dans la vie!
Quand on est mort c'est fini
Céline |
C'est la
route des paladins
Route guerrière
Elle a vu la
marche des saints
Vers la lumière.
Anonyme |
A tous les repas pris en commun nous invitons
la liberté. La place reste
vide, mais le couvert
est toujours mis.
R. Char
|
Pour certains, la plus belle des choses, c'est une troupe de cavaliers; pour
d'autres, un défilé de fantassins; pour d'autres enfin, une escadre en
mer. Mais pour moi, c'est de voir quelqu'un se mettre à aimer quelqu'un.
Sapho |
|
Je me suis habitué à cette
terreur lente
A la défaite acceptée, au profil de la mort.
La fermeture de l'éclair comme un lézard sur l'épaule.
Un poisson qui fuit entre les draps de l'eau... |
Toi qui vivras plus loin que
moi
Sois fidèle au soleil...
Responsable un instant de la totalité de la terre
Garde l'eau pure et le regard heureux.
Jean Malrieu |
Seul
assis au milieu des bambous
Je joue du luth et chante en mesure
Ignoré de tous au fond des bois
La lune s'est approché: clarté!
Wang-Wei (701-761) |
Je
lis la chronique des temps très anciens,
Je regarde les images du vaste monde.
Je dis oui à l'univers. Si ce n'est pas
le bonheur, où donc est le bonheur ?
T'ao Yuang- Ming (336-427) |
...Nuit après nuit,
je suis seule.
La bougie rouge,
dans son bougeoir d'argent,
elle aussi, laisse couler
des larmes sans fin.
Nuit après nuit,
je laisse libre ta place
sous la couverture,
dans l'espoir
que durant mon rêve
tu te glisse
auprès de moi.
*
La vie est un pèlerin
qui passe
et la mort n'est
qu'un retour au foyer
*
Un homme m'a demandé
pourquoi je vivais
sur ces vertes collines:
sans répondre j'ai souri
le coeur serin.
*
Parmi les fleurs une coupe de vin,
Seul je bois, pas un ami.
Levant ma tasse, j'invite la lune claire,
En comptant mon ombre, nous voilà trois.
Li Po (701-762)
|
Quel est le suprême bonheur ici-bas ?
C’est d’écouter la chanson d’une petite fille qui s’éloigne après avoir demandé
son chemin.
*
Pour chasser la tristesse de mille années
nous nous attardons à boire cent pichets
cette belle nuit est propice aux propos purs
la lune lumineuse ne nous laisse pas dormir
ivres nous nous allongeons sur la montagne vide
le ciel pour couverture, la terre comme oreiller.
*
Un flacon de vin au milieu des fleurs.
Je bois seul et sans compagnon.
Je lève ma coupe. Lune à ta santé;
Moi, la lune, mon ombre: nous voilà trois.
La lune, hélas, ne boit pas.
Mon ombre ne sait qu'être là.
Amis d'un moment, la lune et mon ombre.
Le printemps nous dit d'être vite heureux.
Je chante et la lune flâne.
Je danse, et mon ombre veille.
L'ivresse venue, nous nous séparons.
Puisse longtemps durer notre amitié calme.
Rendez-vous un jour dans la Voie Lactée.
Li Po (701-762)
|
On dirait une fleur. Ce n'est pas une fleur.
On dirait une brume. Ce n'est pas une brume.
Cela vient à minuit.
Cela part au matin.
Cela vient comme un rêve de printemps
qui s'efface au réveil
Cela vient comme un nuage du matin.
Vous ne trouverez cela
nulle part.
Po Kyu-Yi (772-846)
|
|
Il se peut
qu'un rêve étrange
Vous ait
occupée ce soir,
Vous avez cru
voir un ange
Et c'était
votre miroir.
M. Jacob
|
"J'étais
parti. Je me glissais sur un petit banc. Je m'asseyais et je restais complètement
immobile. C'était le grand départ."
Jean
Giono
|
Voyageur, le chemin
C'est les traces de tes pas
C'est tout; voyageur,
il n'y a pas de chemin,
Le chemin se fait en marchant
Le chemin se fait en marchant
Et quand tu regardes en arrière
Tu vois le sentier que jamais
Tu ne dois à nouveau fouler
Voyageur! Il n'y a pas de chemins
Rien que des sillages sur la mer.
Tout passe et tout
demeure
Mais notre affaire est de passer
De passer en traçant
Des chemins
Des chemins sur la mer
Antonio Machado
|
Gracias a la vida que me a dado tanto...
Merci
à la vie qui m'a tant donné.
Elle m'a donné deux yeux et quand je les ouvre
Je distingue parfaitement le noir du blanc
Et là-haut dans le ciel, un fond étoilé
Et parmi les multitudes, l'homme que j'aime.
Merci à la vie qui m'a tant donné.
Elle m'a donné d'entendre, oreilles grandes ouvertes
Enregistrer nuit et jour grillons et canaris,
Marteaux, turbines, aboiements, orages,
Et la voix si tendre de mon bien-aimé.
Merci
à la vie qui m'a tant donné.
Elle m'a donné la voix et des lettres
Avec lesquelles je pense les mots, et je dis
Mère, ami, frère, lumière qui éclaire
Le chemin de l'âme que j'aime...
Merci
à la vie qui m'a tant donné.
Elle m'a donné un coeur qui devient débordant
Quand je vois le fruit du cerveau humain ;
Quand je vois la distance qu'il y a entre le bien et le mal
Quand je vois le fond de tes yeux clairs.
Merci
à la vie qui m'a tant donné.
Elle m'a donné le rire, elle m'a donné les pleurs.
Ainsi, je distingue le bonheur du désespoir
Ces deux éléments qui forment mon chant,
Et votre chant qui est le même chant,
Et le chant de tous, qui est encore mon chant.
Violeta
Parra (Chili)
|
Le bonheur
Tout mon corps est poreux au vent frais du printemps.
Partout je m'infinise et partout suis content.
******
Il faut nous aimer sur terre. Il faut nous aimer vivant.
Ne crois pas au cimetière. Il faut nous aimer avant.
Ma poussière et ta poussière deviendront le gré des vents.
******
Tout est là, voyageurs du Rêve, pèlerins secrets de votre âme,
retenez la maxime brève: un pays ressemble à ses femmes.
******
A quoi bon évoquer les amers souvenirs,
quand plus amers seront de proche avenir.
Paul Fort
|
La vie, c'est comme une
dent
D'abord on y a pas pensé
On s'est contenté de mâcher
Et puis ça se gâte soudain
Ça vous fait mal, et on y tient
Et on la soigne et les soucis
Et pour qu'on soit vraiment guéri
Il faut vous l'arracher, la vie
Boris Vian
|
Il
a dévalé la colline
Ses pieds faisaient rouler des pierres...
Les canons d'acier bleu crachaient
Des courtes flammes de feu sec
Pourvu qu'ils me laissent le temps
Il est arrivé près de l'eau
...Pourvu qu'ils me laissent le temps
Une abeille de cuivre chaud
L'a foudroyé sur l'autre rive
Le sang et l'eau se sont mêlés
Il avait eu le temps de voir
Le temps de boire à ce ruisseau...
Le temps de rire aux assassins
Le temps d'atteindre l'autre rive
Le temps de courir vers la femme
Il avait eu le temps de vivre
B. Vian
|
Pourquoi
que je vis
Pour la jambe jaune
D'une femme blonde
Appuyée au mur
Sous le plein soleil
Pour la voile ronde
D'un pointu du port
Pour l'ombre des stores
Le café glacé
Qu'on boit dans un tube...
Pourquoi que je vis
Parce que c'est joli
Boris Vian
|
Ils
cassent le monde
En petits morceaux
Ils cassent le monde
A coup de marteau
Mais ça m'est égal
Ça m'est bien égal
Il en reste assez pour moi
Il en reste assez
Il suffit que j'aime
Une plume bleue
Un chemin de sable
Un oiseau peureux
Il suffit que j'aime
Un brin d'herbe mince
Une goutte de rosée
Un grillon de bois
Ils peuvent casser le monde
En petits morceaux
Il en reste assez pour moi
Il en reste assez
Boris Vian
|
La
colombe qui fend l'air léger pourrait bien croire qu'elle volera mieux
dans le vide.
Kant
|
La marjolaine
et la verveine
la marjoveine
et la verlaine
La vervolaine
et la marveine
Chez
Catherine ma marraine
On fait son
lit de marjolaine
Et de
verveine
R. Desnos
|
Par
delà le Nord, la glace, l'aujourd'hui,
Par
delà la mort, notre vie, notre bonheur!
Ni
par terre, ni par mer,
Tu
ne pourras trouver
Le
chemin qui mène à nous, Hyperboréens!
F. Nietzsche
|
Je
prends congé, je rentre
chez moi, dans mes rêves,
je retourne en Patagonie
où le vent frappe les étables
où l'océan disperse la glace.
Je ne suis qu'un poète
et je vous aime tous,
je vais errant par le monde que j'aime :
dans ma patrie
on emprisonne les mineurs
et le soldat commande au juge.
Mais j'aime, moi, jusqu'aux racines
de mon petit pays si froid.
Si je devais mourir cent fois,
c'est là que je voudrais mourir
et si je devais naître cent fois
c'est là aussi que je veux naître
près de l'araucaria sauvage,
des bourrasques du vent du sud
et des cloches depuis peu acquises...
P. Neruda
|
Persiennes, vous êtes côtes
De crucifié sur la mer,
Fenêtres, on compte les côtes
Entre vos bras de verre ouvert. (Opéra)
Plus la beauté court je dois courir plus vite
Je plains qui veut la suivre ou peine à ses côtés
La mort m’est douce-amère et son amour m’évite
Phénix l’ennui mortel de l’immortalité. (Phénix)
Il est juste qu’on m’envisage
Après m’avoir dévisagé. (Requiem)
(Derniers vers de son dernier poème)
Cocteau
|
Je
m'en vais, ô mémoire ! à mon pas d'homme libre, sans horde ni tribu,
parmi le chant des sabliers, et, le front nu, lauré d'abeilles de
phosphore, au bas du ciel très vaste d'acier vert comme en un fond de
mer,... je flatte encore en songe, de la main, parmi tant d'êtres
invisibles, ma chienne d'Europe qui fut blanche et, plus que moi, poète.
St. Jonh Perse
|
De soi même
Plus ne suis
que j'ai été
Et ne saurais
jamais être
Mon beau
printemps et mon été
Ont fait le
saut par la fenêtre.
Amour, tu as
été mon maître
Je t'ai servi
sous tous les dieux.
Ah si je
pouvais deux fois naître,
Comme je te
servirais mieux!
C. Marot
|
Ma
Chambre
Ma
demeure est haute,
Donnant sur les cieux;
La lune en est l'hôte
Pâle et sérieux.
En bas que l'on sonne,
Qu'importe aujourd'hui?
Ce n'est plus personne,
Quand ce n'est pas lui!
Aux
autres cachée,
Je brode mes fleurs;
Sans être fâchée,
Mon âme est en pleurs;
Le ciel bleu sans voiles,
Je le vois d'ici;
Je vois les étoiles,
Mais l'orage aussi!
Vis-à-vis
la mienne
Une chaise attend:
Elle fut la sienne,
La nôtre un instant;
D'un ruban signée,
Cette chaise est là,
Toute résignée,
Comme me voilà!
Marceline Desbordes-Valmore
|
Vous aviez
mon coeur,
Moi, j'avais
le vôtre:
Un coeur pour
un coeur;
Bonheur pour
bonheur !
Le votre est
rendu;
Je n'en ai
plus d'autre.
Le votre est
rendu
Le mien est
perdu.
Marceline Desbordes-Valmore
|
C'en est fini
du terrible voyage, ô mon captain,...
Le but est
proche, sonnent les cloches...
Mais ce
saignement rouge, ô mon coeur,
Sur le pont
où mon captain est couché,
Cadavre froid
et raide.
Debout! mon
captain, entends les cloches,
Lève-toi,
c'est pour toi que claquent ces flammes,...
Je passe mon
bras sous ta nuque!
Non, c'est un
rêve tu n'est pas mort,...
Mais lui ne
répond pas, ses lèvres demeurent pâles,
Sagement à
l'ancre, route terrible accomplie,
Son vaisseau
est au but, la victoire est acquise;...
W. Whitman (pour la mort de Lincoln)
|
Trop longtemps
tellement longtemps Amérique,
Comme tu
voyageais en tes routes infiniment pacifiques tu ne rencontras que joie et
prospérité,
Mais
aujourd'hui, ah! aujourd'hui est arrivé pour toi l'heure d'apprendre à
l'école de l'angoisse aiguë, de te colleter sans faiblesse avec la
douleur noire du destin,...
W. Whitman (1860!)
|
Parmi
les fleurs une coupe de vin,
Seul je bois, pas un ami.
Levant ma tasse, j'invite la lune
claire,
En comptant mon ombre, nous voilà
trois.
Li Po (Chine, 701-762) |
Quiconque a
regardé le soleil fixement
Croit voir
devant ses yeux voler obstinément
Autour de
lui, dans l'air, une tache livide.
Ainsi tout
jeune encore et plus audacieux
Sur la gloire
un instant j'osai fixer les yeux :
Un point noir
est resté dans mon regard avide.
G. De Nerval
|
La
connais-tu, Dafné, cette ancienne romance,
Au pied du
sycomore, ou sous les lauriers blancs,
Sous
l'olivier, le myrte, ou les saules tremblants,
Cette chanson
d'amour qui toujours recommence ?...
G. De Nerval
|
Si
l'on m'annonçait comme une certitude que le monde va finir demain, je
planterais encore un pommier dans mon jardin.
M. Luther
|
Tes
jours sombres et courts comme les jours d'automne.
Lamartine
|
Si ce n'est
pas l'amour, qu'est-ce donc que j'éprouve ?
Si c'est
l'amour, ô Dieu qu'est-ce donc que cela ?
S'il est bon,
comment ses effets sont-ils mortels ?
S'il est
mauvais, pourquoi ses tourments sont si doux ?
Pétrarque |
La mer et les
rêves se ressemblent
Les plantes
que l'on ôte de l'une
Et les
phrases que l'on retire de l'autre
Perdent
immédiatement leur beauté.
J. Cocteau |
Je n'aimais pas encore et j'aimais aimer
: je cherchais quoi aimer, aimant aimer; et je haïssais la sécurité et
les chemins sans embûches...
...Nul n'est sage s'il n'est heureux.
St Augustin
|
Les jours
tissés de soie
Sur fond de
laine
Les jours
tissés de joie
Sur fond de
peine...
C. Péguy
|
Quand
on ferme sa porte, on la ferme aux meilleurs. Les gens ennuyeux
s'arrangent toujours pour la forcer d'une manière ou d'une autre les
autres, par contre, n'insistent jamais.
J. Giono |
L'agonie
de certains monuments est plus significative encore que leur période de
gloire. Ils fulgurent avant de s'éteindre.
J. Genet |
Le
froid est le cadre le plus émouvant pour le bonheur. Le bonheur
contracté par le froid, oblige de se resserrer, de rentrer dans son coeur,
je trouve que c'est ce qu'il y a de plus intense.
M. Proust |
Pour
bien jouir de la chaleur, il faut avoir quelque petite partie du corps
exposée au froid; car il n'est qualité au monde qui ne vaille que par
le contraste. En soi, rien n'existe. Si vous vous vantez d'être partout
et depuis longtemps confortable, vous pouvez être assuré que vous
n'êtes plus confortable du tout; mais si au lit, vous avez le sommet du
crane légèrement froid, alors vous pouvez vous flattez d'être
incontestablement au chaud. H.
Melville |
En hommage à
ton altitude, Montagne,
Fatigue ma
route : quelle soit âpre, quelle soit dure; quelle aille très haut.
V. Ségalen |
Mais la
nature est là qui t'invite et qui t'aime;
Plonge-toi
dans son sein qu'elle t'ouvre toujours;
Quand tout
change pour toi, la nature est la même,
Et le même
soleil se lève sur tes jours.
A. De Lamartine |
C'est vrai,
j'aime Paris d'une amitié malsaine,
J'ai partout
le regret des vieux bords de la Seine,
Devant la
vaste mer, devant les pics neigeux,
Je rêve d'un
faubourg plein d'enfance et de jeux,
...Je suis un
pâle enfant du vieux Paris, et j'ai
Le regret des
rêveurs qui n'ont pas voyagé.
F. Coppée
|
Salut,
dit Horus, ô troisième porte du dieu au coeur immobile. J'ai fait le
chemin. Je te connais. Je connais ton nom, je connais le nom du dieu qui
te garde...
Je me suis purifié dans l'eau où Ptah s'est purifié...
Je
suis oint d'essence Hakennu de Libye.
Je suis revêtu de l'étoffe Kas.
J'ai un sceptre en bois ahpen.
- Passe, répond la porte, tu es pur.
Livre des morts (Egypte)
|
C'est la saison où tout tombe
Aux coups redoublés des vents ;
Un vent qui vient de la tombe
Moissonne aussi les vivants :
Ils tombent alors par mille,
Comme la plume inutile
Que l'aigle abandonne aux airs,
Lorsque des plumes nouvelles
Viennent réchauffer ses ailes
À l'approche des hivers.
C'est alors que ma paupière
Vous vit pâlir et mourir,
Tendres fruits qu'à la lumière
Dieu n'a pas laissé mûrir !
Quoique jeune sur la terre,
Je suis déjà solitaire
Parmi ceux de ma saison,
Et quand je dis en moi-même :
Où sont ceux que ton coeur aime ?
Je regarde le gazon.
Lamartine
|
Ô nostalgie des lieux qui n'étaient point
assez aimés à l'heure passagère,
que je voudrais leur rendre de loin
le geste oublié, l'action supplémentaire !
Revenir sur mes pas, refaire doucement
- et cette fois, seul - tel voyage,
rester à la fontaine davantage,
toucher cet arbre, caresser ce banc...
Rainer Maria Rilke
|
La mer, la
mer, toujours recommencée !
O récompense après
une pensée
Qu'un long
regard sur le calme des dieux !
P. Valéry
|
Ce n'est pas drôle de mourir
Et d'aimer tant de choses :
La nuit bleue et les matins roses,
Les fruits lents à mûrir.
Paul-Jean Toulet
|
Rends-toi mon
coeur,
Nous avons
assez lutté.
Et que ma vie
s'arrête.
On n'a pas
été des lâches,
On a fait ce
qu'on a pu.
H. Michaux
|
Dans Arles, où sont les Alyscams,
Quand l'ombre est rouge, sous les roses,
Et clair le temps,
Prends garde à la douceur des choses.
Lorsque tu sens battre sans cause
Ton coeur trop lourd ;
Et que se taisent les colombes :
Parle tout bas, si c'est d'amour,
Au bord des tombes.
Paul-Jean Toulet
|
C'était sur un chemin crayeux
Trois chattes de Provence
Qui s'en allaient d'un pas qui danse
Le soleil dans les yeux.
C'était trois chattes de Provence,
Des oliviers poudreux,
Et le mistral brûlant aux yeux
Dans un azur immense.
Paul-Jean Toulet
|
...Roule,
sombre océan, profond et bleu, roule!
Dix mille
flottes passent sur toi, en vain. L'homme
marque la
terre de ses ruines : son pouvoir
S'arrête sur
la rive;
Lord Byron |
Et la mer et
l'amour ont l'amer pour partage,
Et la mer est
amère, et l'amour est amer,
L'on s'abîme
en amour aussi bien qu'en la mer
Car la mer et
l'amour ne sont point sans orage.
Pierre de Marbeuf
|
Seuls aux
fenêtres des fleuves
Les grands
visages éclairés
Rêvent qu'il
n'y a rien de périssable
Dans leur
paysage carnassier.
R. Char |
...Ma vie
indicible, ma vie
D'enfant qui
ne veut rien savoir, sinon
Espérer
éternellement des choses vagues
V. Larbaud
|
Patience,
patience,
Patience dans
l'azur !
Chaque atome
de silence
Est la chance
d'un fruit mûr !
P. Valéry
|
De temps en
temps le soir, il émerge un visage
Qui soudain
nous épie de l'ombre d'un miroir;
j'imagine que
l'art ressemble à ce miroir
Qui soudain
nous révèle notre propre visage.
J.L. Borgés
|
O temps !
Suspend ton vol, et vous, heures propices!
Suspendez
votre cours :
Laissez-nous
savourer les rapides délices
Des plus beau
jours!
Aimons donc,
aimons donc! de l'heure fugitive,
Hâtons-nous,
jouissons!
L'homme n'a
point de port, le temps n'a point de rive;
Il coule, et
nous passons
A. De Lamartine
|
Dans les
branches s'étaient pris leurs cheveux fins
Des feuilles
s'étaient collées sur leur visage
Elles
écartaient les branches avec leurs mains
Elles
regardaient autour avec des yeux sauvages.
P. Claudel |
Le
seul bien qui me reste au monde
Est d'avoir quelquefois pleuré.A. De Musset |
A des amis
nouveaux tiens tes portes ouvertes,
laisse les
vieux amis, laisse le souvenir :
si tu fus
jeune un jour, tu l'es mieux aujourd'hui.
...seul me
trouve inchangé celui qui sait changer.
...Ô midi de
la vie, ô seconde jeunesse,
ô jardin de
l'été !
ô
l'inquiète joie d'épier et d'attendre !
je guette les
amis, je suis prêt jour et nuit.
Ô mes
amis nouveaux, venez; il est grand temps!
F. Nietzsche
|
L'aurore,
insolente de candeur,
jeta un coup d'oeil et s'évanouit
Des nuées d'orage
lui succédèrent.
F. Nietzsche |
L'été et
notre vie étions d'un seul tenant
La campagne
mangeait la couleur de ta jupe odorante...
C'était au
début d'adorables années
La terre nous
aimait un peu je me souviens.
R. Char
|
Un jour tu
sentiras peut-être
Le prix d'un
cœur qui nous comprend,
Le bien qu'on
trouve à le connaître;
Et ce qu'on
souffre en le perdant.
A. De Musset
|
Dans Venise
la rouge
Pas un bateau
qui bouge,
Pas un
pêcheur dans l'eau,
Pas un falot.
Tous se tait,
fors les gardes
Aux longues
hallebardes,
Qui veillent
aux créneaux
Des arsenaux.
A. De Musset
|
Cent pas dans
une gare, Genève,
(un
jour peut-être regretteras-tu cette heure ajoutée
à tant d'autres que tu qualifieras à
juste titre de perdues) entre deux
points de vente, tabacs, journaux, revues, où
les pornos exercent un fallacieux attraits et
dans la salle d'attente, mon frère, je
pense à toi quand je serais absent de la terre et
que tout continuera, qu'un inconnu, toi, mesurera
sur un siège en plastique, en hiver, combien
on peut, vivant, se décevoir. Paul
de Roux |
En Sibérie, au
fond des mines,
Pleins
d'endurance et de fierté,
Sachez que votre
oeuvre chemine
Vers l'idéal de
liberté!
...Et malgré
toutes les serrures,
L'amour ainsi
que l'amitié
vont au fond des
prisons obscures
porter la voix
de Liberté.
Quand tomberont
vos lourdes chaînes,
Vos frères
rendront à vos bras
Le glaive et,
terminant vos peines,
La Liberté vous
attendra.
A. Pouchkine |
Rendez-vous
(Docteur Jivago)
La neige vient
d'envahir
Les routes comme
les toits
Je sors pour me
dégourdir :
Devant la porte,
c'est toi...
Les arbres et
les clôtures
S'effacent dans
le lointain;
Seule, sur la
neige pure,
Tu restes sur le
chemin.
Jusque dans ton
encolure
L'eau coule du
fichu blanc;
Mêlés à ta
chevelure
Scintillent des
diamants.
Ta mèche blonde
défaite
Comme un rayon
d'or et d'eau,
Éclaire ta
silhouette,
Ton visage et
ton manteau...
B. Pasternak
|
( Sur
Pouchkine...)
Jeune et bronzé,
c'est là qu'il erre,
Longeant le lac
silencieux;
L'écho de ses
pas sur la terre
Résonne encore
mélodieux.
Sur les chemins
et sur les bornes
Les aiguilles des
pins brunis...
A. Akhmatova
|
...Je
n'écoute plus rien, et pour jamais adieu.
Pour jamais!
Ah! Seigneur, songez-vous en vous-même
Combien ce
mot cruel est affreux quand on aime?
Dans un mois,
dans un an, comment souffrirons-nous,
Seigneur que
tant de mers me séparent de vous,
Que le jour
recommence et que le jour finisse
Sans que
jamais Titus puisse voir Bérénice,
Sans que de
tous le jour je puisse voir Titus ?...
J. Racine
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Les
exemples vivants sont d'un autre pouvoir
Un prince dans un livre apprend mal ses
devoirs.
Corneille |
L'enfant
qu'en vain tu te rappelles
Dans ce vieux
visage et tes mains
Étais-ce
donc cela demain
Où le passé
si peu s'épèle
Aragon
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Siècles à
venir,
Mon véritable
présent, toujours présent, obsessionnellement présent.
A. Michaux
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Mon beau
voyage encore est si loin de sa fin!
Je pars, et
des ormeaux qui bordent le chemin
J'ai passé
les premiers à peine,...
Je ne suis
qu'au printemps, je veux voir la moisson
Et comme le
soleil, de saison en saison,
Je veux
achever mon année.
A. Chénier
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La porte qui
ne s'ouvre pas
La main qui
passe
Au loin un
verre qui se casse...
Quelques
animaux
Sans leur
ombre
Un regard
Une tache
sombre
La maison où
l'on n'entre pas.
P. Raverdy
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Je suis
dur
Je suis
tendre
Et j'ai perdu
mon temps
A rêver sans
dormir a dormir en marchant
Pourtant où
j'ai passé
J'ai trouvé
mon absence
Je ne suis
nulle part
Excepté le
néant
Mais je porte
caché au plus haut des entrailles
A la
place où la foudre a frappé trop souvent
Un coeur où
chaque mot a laissé son entaille
Et d'où
ma vie s'égoutte au moindre mouvement.
P. Raverdy
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Qu'est-ce que
le bonheur de toute façon?
Cette heure
lui appartient-elle ou lui ressemble-t-elle ? Si impalpable, à peine un
souffle.
W. Whitman
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L'exotisme
commence quand la pluie devient une distraction |
A
l'origine les ténèbres étaient cachées par les ténèbres.
Cet univers n'était qu'onde
indistincte.
Alors, par la puissance de l'Ardeur,
l'Un pris naissance, vide et recouvert de vacuité.
Le Désir en fut le développement
originel qui a été la semence première de la Conscience.
Enquêtant en eux-même, les Poètes
surent découvrir par leur réflexion le lien de l'Etre dans le non-Etre.
Atharda-Veda (Inde 14éme av JC)
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Baudelaire |
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Nous aurons
des lits pleins d'odeurs légères,
Des divans
profonds comme des tombeaux,
Et
d'étranges fleurs sur des étagères,
Ecloses pour
nous sous des cieux plus beaux.
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Ma jeunesse ne fut qu'un ténébreux orage,
Traversé çà et là par de brillants soleils ;
Le tonnerre et la pluie ont fait un tel ravage,
Qu'il reste en mon jardin bien peu de fruits vermeils. |
Après
avoir franchi vers les célestes gloires
Des chemins singuliers à lui-même inconnus,
Où les purs Esprits seuls peut-être étaient venus,...
Baudelaire |
À te voir marcher en cadence,
Belle d'abandon,
On dirait un serpent qui danse
Au bout d'un bâton.
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Sois sage, ô ma Douleur, et tiens-toi plus tranquille.
Tu réclamais le Soir ; il descend ; le voici :
Une atmosphère obscure enveloppe la ville,
Aux uns portant la paix, aux autres le souci.
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La glace qui les mord, les soleils qui les cuivrent,
Effacent lentement la marque des baisers....
Étonnants voyageurs ! quelles nobles histoires
Nous lisons dans vos yeux profonds comme les mers !
Montrez-nous les écrins de vos riches mémoires,
Ces bijoux merveilleux, faits d'astres et d'éthers.
Nous voulons voyager sans vapeur et sans voile !
Faites, pour égayer l'ennui de nos prisons,
Passer sur nos esprits, tendus comme une toile,
Vos souvenirs avec leurs cadres d'horizons.
Dites, qu'avez-vous vu ?
« Nous avons vu des astres
Et des flots ; nous avons vu des sables aussi ;
Et, malgré bien des chocs et d'imprévus désastres,
Nous nous sommes souvent ennuyés, comme ici...
Faut-il partir ? rester ? Si tu peux rester, reste ;
Pars, s'il le faut. L'un court, et l'autre se tapit
Pour tromper l'ennemi vigilant et funeste,
Le Temps ! Il est, hélas ! des coureurs sans répit,...
Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l'ancre !
Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons !
Si le ciel et la mer sont noirs comme de l'encre,
Nos coeurs que tu connais sont remplis de rayons !
Verse-nous ton poison pour qu'il nous réconforte !
Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,
Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu'importe ?
Au fond de l'Inconnu pour trouver du nouveau !
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Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides
Et la peur de vieillir, et ce hideux tourment
De lire la secrète horreur du dé nouement
Dans des yeux où longtemps burent nos yeux avides?
Ange plein de beauté, connaissez-vous les rides
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Je n'ai pas
pour maîtresse une lionne illustre...
Sa beauté ne
fleurit que dans mon triste coeur.
Elle louche,
et l'effet de ce regard étrange,
Qu'ombragent
des cils noirs plus long que ceux d'un ange,
Est tel que
tous les yeux pour qui l'on s'est damné
Ne valent pas
pour moi son oeil juif et cerné...
Si vous la
rencontrez, bizarrement parée,
Se faufilant
au coin d'une rue égarée,
Et la tête
et l'oeil bas - comme un pigeon blessé-
Traînant
dans les ruisseaux un talon déchaussé,
Messieurs, ne
crachez pas de jurons ni d'ordures,
Au visage
fardé de cette pauvre impure
Que déesse
Famine a par un soir d'hiver
Contrainte à
relever ces jupons en plein air.
Cette
bohème-là c'est mon tout, ma richesse,
Ma perle, mon
bijou, ma reine, ma duchesse,
Celle qui m'a
bercé sur son giron vainqueur,
Et qui dans
ces deux mains a réchauffé mon coeur
(inspiré de
Sarah, surnommée Louchette; écrit à 19 ans)
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Homme libre, toujours tu
chériras la mer!
La mer est ton miroir, tu contemples ton âme
Dans le déroulement infini de sa lame
Et ton esprit n'est pas un gouffre moins amer.
Tu te plais a plonger au
sein de ton image;
Tu l'embrasses des yeux et des bras, et ton coeur
Se distrait quelquefois de sa propre rumeur
Au bruit de cette plainte indomptable et sauvage.
Vous êtes tous les deux
ténébreux et discrets;
Homme, nul n'a sondé le fond de tes abîmes;
O mer, nul ne connaît tes richesses intimes,
Tant vous êtes jaloux de garder vos secrets!
Et cependant voilà des
siècles innombrables
Que vous vous combattez sans pitié ni remords,
Tellement vous aimez le carnage et la mort,
O lutteurs éternels, O frères implacables
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Mon enfant, ma soeur,
Songe à la douceur,
D'aller là-bas, vivre ensemble!
Aimer à loisir,
Aimer et mourir,
Au pays qui te ressemble!
Les soleils mouillés,
De ces ciels brouillés,
Pour mon esprit ont les charmes,
Si mystérieux,
De tes traîtres yeux,
Brillant à travers leurs larmes.
Là, tout n'est qu'ordre
et beauté,
Luxe, calme et volupté.
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Paysage
Je veux, pour composer chastement mes églogues,
Coucher auprès du ciel, comme les astrologues,
Et, voisin des clochers, écouter en rêvant
Leurs hymnes solennels emportés par le vent.
Les deux mains au menton, du haut de ma mansarde,
Je verrai l'atelier qui chante et qui bavarde ;
Les tuyaux, les clochers, ces mâts de la cité,
Et les grands ciels qui font rêver d'éternité.
Il est doux, à travers les brumes, de voir naître
L'étoile dans l'azur, la lampe à la fenêtre,
Les fleuves de charbon monter au firmament
Et la lune verser son pâle enchantement.
Je verrai les printemps, les étés, les automnes ;
Et quand viendra l'hiver aux neiges monotones,
Je fermerai partout portières et volets
Pour bâtir dans la nuit mes féeriques palais.
Alors je rêverai des horizons bleuâtres,
Des jardins, des jets d'eau pleurant dans les albâtres,
Des baisers, des oiseaux chantant soir et matin,
Et tout ce que l'Idylle a de plus enfantin.
L'émeute, tempêtant vainement à ma vitre,
Ne fera pas lever mon front de mon pupitre ;
Car je serai plongé dans cette volupté
D'évoquer le Printemps avec ma volonté,
De tirer un soleil de mon coeur, et de faire
De mes pensers(?) brûlants une tiède atmosphère.
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C'est la Mort qui console, hélas ! Et qui fait vivre ;
C'est le but de la vie, et c'est le seul espoir
Qui, comme un élixir, nous monte et nous enivre,
Et nous donne le cœur de marcher jusqu'au soir ;
À travers la tempête, et la neige, et le givre,
C'est la clarté vibrante à notre horizon noir ;
C'est l'auberge fameuse inscrite sur le livre,
Où l'on pourra manger, et dormir, et s'asseoir ;
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A la très chère,
à la très belle
Qui remplit
mon coeur de clarté,
A l'ange à
l'idole immortelle,
Salut en
l'immortalité. |
|
Hugo |
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Ô jeunes
gens! Elus ! Fleurs du monde vivant,
Maîtres du
mois d'avril et du soleil levant,
N'écoutez
pas ces gens qui disent: soyez sages!
La sagesse
est de fuir tous ces mornes visages!
Soyez jeunes,
gais, vifs, amoureux, soyez fous!
Ô doux amis,
vivez, aimez! Défiez-vous
De tous ces
conseillers douceâtres et sinistres.
Vous avez
l'air joyeux, ce qui déplaît aux cuistres.
Des cheveux
en forêt, noirs, profonds, abondants,
Le teint
frais, le pied sûr, l'oeil clair, toutes vos dents:
Eux, ridés,
épuisés, flétris, édentés, chauves,
Hideux;
l'envie en deuil clignote en leurs yeux fauves.
Oh! comme je
les hais, ces solennels grigous!
Ils
composent, avec leur fiel et leurs dégoûts,
Une sagesse
pleine d'ennui et de jeûnes,
Et, faite
pour les vieux, osent l'offrir aux jeunes!
|
Demain dés
l'aube, à l'heure où blanchit la campagne,
Je partirais.
Vois-tu je sais que tu m'attend.
J'irais par
la forêt, j'irais par la montagne.
Je ne puis
demeurer loin de toi plus longtemps.
|
Ces femmes
qu'on envoient au lointaines bastilles,
Peuple, ce
sont tes soeurs, tes mères et tes filles,
O peuple,
leur forfait, c'est de t'avoir aimé!
|
...J'accepte
l'âpre exil, n'eût-il ni fin ni terme,
Sans chercher
à savoir et sans considérer
Si quelqu'un
a plié qu'on aurait cru pus ferme,
Et si
plusieurs s'en vont qui devraient demeurer.
Si l'on n'est
plus que mille, eh bien, j'en suis ! Si même
Ils ne sont
plus que cent, je brave encore Sylla;
S'il en
demeure dix, je serai le dixième;
Et s'il n'en
reste qu'un, je serais celui là!
|
Depuis six
mille ans la guerre
Plaît aux
peuples querelleurs,
Et Dieu perd
son temps à faire
Les étoiles
et les fleurs...
Aucun peuple
ne tolère
Qu'un
autre vive à côté;
Et l'on
souffle la colère
Dans notre
imbécillité.
Celui-ci je
le supprime
Et m'en vais
le coeur serein,
Puisqu'il a
commis le crime
De naître à
droite du Rhin...
On pourrait
boire aux fontaines,
Prier dans
l'ombre à genoux,
Aimer, songer
sous les chênes;
Tuer son
frère est plus doux.
Et l'aube est
là sur la plaine !
Oh ! j'admire
en vérité,
Qu'on puisse
avoir de la haine
Quand
l'alouette a chanté.
|
Sachez
qu'hier, de ma lucarne,
J'ai vu, j'ai couvert de clins d'yeux,
Une fille qui dans la Marne
Lavait des torchons radieux
Je pris un air incendiaire
Je m'adossais contre un pilier
Puis je lui dis "O Lavandière"
Blanchisseuse étant familier
La
blanchisseuse gaie et tendre
Sourit et, dans la hameau noir
Au loin, sa mère cessa d'entendre
Le bruit vertueux du battoir.
Je
m'arrête. L'idylle est douce
Mais ne veux pas, je vous le dis,
Qu'au delà du baiser on pousse
La peinture du paradis
|
Jaime les
soirs sereins et beaux, j'aime les soirs
Soit qu'ils dorent le front des antiques
manoirs
Ensevelis dans les feuillages ;
Soit que la brume au loin s'allonge en bancs de feu ;
Soit que mille rayons brisent dans un ciel bleu
A des archipels de nuages.
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D'autres vont
maintenant passer où nous passâmes.
Nous y sommes
venus, d'autres vont y venir;
Et le songe
qu'avait ébauché nos deux âmes,
Ils le
continueront sans pouvoir le finir !
Car personne
ici-bas ne termine et n'achève;
Les pires des
humains sont comme les meilleurs;
Nous nous
réveillons tous au même endroit du rêve,
Tout commence
en ce monde et tout finit ailleurs.
D'autres
auront nos champs, nos sentiers, nos retraites
Ton bois ma
bien-aimée est à des inconnus.
D'autres
femmes viendront, baigneuses indiscrètes,
Troubler le
flot sacré qu'ont touché tes pieds nus...
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J'aime
le carillon de tes cités antiques
Ô vieux pays ! gardien de tes mœurs domestiques |
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