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Histoire des chemins en raccourci
"...ce chemin n'est pas mon oeuvre. Il porte la marque de ceux qui le créèrent,
siècles après siècles, souvent dans la peine, avec un fardeau harassant pour survivre.
Tandis que nous cheminons pour notre plaisir, nous entendons cette rumeur anonyme
venue du fond des temps. Notre bonheur se teinte de gravité. J'ai l'obligation par
mes pas d'éveiller d'une façon confuse leur mémoire, de ne pas laisser revenir
à l'état de friche une oeuvre qui leur coûta tant..." Pierre Sansot.
Un chemin, c'est toujours une trouée dans
l'histoire,
une évasion dans le temps plus encore que dans l'espace.
Chemins des souvenirs et des espoirs...
Bien avant les hommes, les bêtes sauvages dans
leurs déplacements répétés pour trouver leur nourriture ont tracé les
premières pistes.
Ensuite, l'homme chasseur et nomade a
utilisé ces traces
pour suivre les animaux, au gré de
leurs immenses migrations saisonnières.
Au néolithique, avec la domestication
des animaux, les pasteurs et leurs troupeaux ont emprunté ces mêmes chemins qui utilisaient
les passages naturels (cols vallées...). L'exemple le plus
émouvant est celui des voies de transhumance (les drailles),
notamment en
Languedoc et en Provence, qui tout au long des millénaires
ont gardé les
mêmes axes jusqu'à nos jours ;
ce sont les premières ébauches de
communication entre la plaine et la montagne. Elles ont été améliorées par
des empierrements
ou constructions (comme le pont à moutons de l'Asclié), mais
ce sont les pas de l'homme et des bêtes qui ont poli
les pierres et dans le
temps façonné le chemin. Une des plus belles drailles est celle qui, partant
de la plaine Languedocienne, permet d'accéder aux Cévennes en franchissant le
massif de L'Aigoual.
Massif de
l'Aigoual
Mt Liron. La Draille passe en bas, à gauche. (GR 6)
Peu à peu, l'homme ne s'est plus contenté de suivre les pistes
tracées par les troupeaux ;
l'agriculture et le développement des échanges
l'ont conduit à créer ses propres tracés en se repérant
sur des points
singuliers comme des rochers isolés (plus les visées étaient éloignées,
plus les chemins étaient droits).
Parfois, des pierres élevées par lui ont
été utilisées dans ce but.
Viennent ensuite les chemins de grande communication. Les Celtes
dans leurs invasions ont
progressivement amélioré les chemins primitifs pour
en faire des voies de conquête; de rectifications
en corrections, le chemin
tend aux directions rectilignes tandis qu'il renforce ses assises
et corrige
ses pentes pour le charroi. Ces chemins là sont plus les organes
d'un impérialisme que les animateurs
de la campagne ; ils annoncent dèja les
routes impériales romaines.
A ces voies spécialisées et indépendantes, qui souvent ignorent
la desserte locale,
comme les autoroutes aujourd'hui, s'opposent les chemins
locaux intimement associés
aux villages et aux activités qu'il ont suscitées.
Les voies romaines, stratégiques, ont eu des évolutions diverses
:
celles qui empruntaient des passages naturels évidents comme la voie Domitienne
dans la mince bande littorale ont été recouvertes successivement par les voies
modernes (autoroute, chemins de fer);
celles qui reliaient des centres dont les
intérêts n'étaient pas liés à la réalité sociale et économique des régions traversées
sont tombées en déshérence comme la voie
Agrippa.
On peut suivre la voie Domitienne (ci-contre) et voir encore par
endroit son infra-structure impressionnante,
en particulier à Ambrussum.
Les chemins primitifs étaient la naturelle adaptation de l'homme
aux lieux; ils ont été préservés
et à quelques poteaux et revêtement près
son restés les mêmes. Nos routes actuelles se sont presque
toujours substituées
à des tracés anciens ; il n'y avait pas de place
pour l'improvisation de tracés neufs dans cette campagne figée une fois pour
toutes par l'agriculture et la propriété.
Le trait droit et arbitraire
dont on viendra balafrer le terroir est une initiative récente liée pour
les
routes aux nouveaux moyens de transport et pour les chemins
à 3
causes principales, selon les régions :
le remembrement et la "rationalisation"
des cultures, la désertification des campagnes et l'abandon de terres
cultivées puis des accès et, enfin,
le recalibrage pour le passage des gros engins agricoles motorisés (puis
des engins motorisés non agricoles!).
Quand la voie moderne
se superpose
à la romaine
pour un trait déjà droit et arbitraire
opposé aux chemins irréguliers
dessinés par l'usage.
La
Chaussée-Bois-d'Écu (Oise).
Cette évocation, synthétique et sans prétention, pour constater que les
chemins sont les seules oeuvres humaines
qui, depuis l'origine de l'homme,
sont toujours utilisées.
Chacun devrait refaire le chemin de ses ancêtres, le connaître, le protéger
et l'embellir.
C'est en empruntant ces chemins
et en les entretenant que nous les gardons en vie.
"C'est la vieille humanité, qui
donne encore geste et mouvement au chemin ombragé... C'est la vieille
humanité, qui de ses morts les plus lointains
semble agiter encore de sinuositées
tressaillantes cette route rampante, la faire flotter de toutes les légères
formes du sol, la faire s'émouvoir
de toutes les habitudes humaines, que chaque
coin de ce sol reçut dans la subtile ferveur d'une terrestre mémoire."
Gaston Roupnel (Histoire de la campagne française)
Un musée du chemin à ciel ouvert dans
un cadre unique : les chemins au départ
et autour de St Guihem le désert (34).
Pour en savoir plus sur les chemins du Languedoc :
"Les chemins à
travers les âges"
P.A.Clément.
(Presses du Languedoc)
Site sur: St-guilhem-le-desert.com