Je vous propose une sélection personnelle, très subjective, mais
j'espère originale, de poèmes
éclatés.
En
fait et plus prosaïquement, j'emprunte et collectionne depuis longtemps, sur un
cahier, les mots et les phrases (poèmes et proses) qui me touchent;
internet a fait le reste! Il s'agit donc, avant tout, d'une démarche
égoïste que je vous propose éventuellement de partager;
certains extraits ont un peu vieillis (comme moi), mais je les garde en souvenir.
Je me rend compte en les relisant qu'on s'y révèle plus que dans une
confession; qu'importe, puisque d'une part on ne se connaît pas (!?) et
d'autre part, sûrement que d'autres, je l'espère, s'y reconnaîtront!
Je
m'appuie sur la fenêtre,
je contemple dans ma joie mes branches favorites...
L'ombre s'épaissit, cependant je m'attarde
à caresser le pin solitaire.
Tan Yuan Ming |
Aucun
chemin de fleurs ne conduit à la gloire...
*
On
rencontre sa destinée souvent
Par
des chemins qu'on prend pour l'éviter
La Fontaine
|
Les
ailes frissonnaient sous le souffle du soir,
le moteur de son chant berçait l'âme endormie,
le soleil me frôlait de sa couleur pâlie.
A. de Saint-Exupéry |
...Et
j'irais loin, bien loin, comme un bohémien,
Par
la nature, heureux comme avec une femme.
AR
|
Ici vit un homme libre.
Personne ne le sert.
Camus
|
Je
sais que la vie est belle : je voudrais le sentir.
R. Char
|
Deux
yeux purs dans les bois
Cherchent
en pleurant la tête habitable
R. Char
|
Va mon baiser, quitte le frêle
gîte, Ton amour est trouvé, un bouleau te le tend. La résine
d'été et la neige d'hiver Ont pris garde.
R. Char
|
Nous
commençons toujours notre vie sur un crépuscule admirable.
Tout ce qui nous aidera,
plus tard, à nous dégager de nos
déconvenues s'assemble autour de nos premiers pas.
R. Char |
La
femme suit des yeux l'homme vivant qu'elle aime
R. Char
|
La
femme respire, l'homme se tient debout
R. Char
|
Il
est insupportable de se sentir part solidaire et impuissante
d'une beauté en train de mourir
par la faute d'autrui. Solidaire dans sa poitrine et impuissant
dans le mouvement de son esprit.
Si ce que je te montre et ce que je te donne te semblent
moindres que ce que je te cache,
ma balance est pauvre, ma glane est sans vertu. Tu es
reposoir d'obscurité sur ma face trop
offerte, poème. Ma splendeur et ma souffrance se sont glissées
entre les deux.
Jeter bas l'existence laidement accumulée et retrouver le
regard qui l'aima assez à son début
pour en étaler le fondement. Ce qui me reste à vivre est dans
cet assaut, dans ce frisson.
René Char
|
Dans
mon pays, les tendres preuves du printemps et les oiseaux mal
habillés sont préférés aux buts lointains.
Dans
mon pays on ne questionne pas un homme ému.
Bonjour
à peine est inconnu dans mon pays...
Il
y a des feuilles, beaucoup de feuilles sur les arbres de mon
pays. Les branches sont libres de n'avoir pas de fruits...
On
ne croit pas à la bonne foi du vainqueur.
Dans
mon pays, on remercie.
R. Char
|
Au
seuil de la pesanteur, le poète comme l'araignée construit sa
route dans le ciel. En partie caché à lui même, il apparaît
aux autres, dans les rayons de sa ruse inouïe, mortellement
visible.
R. Char
|
Être
poète, c'est avoir de l'appétit pour un malaise dont la
consommation, parmi les tourbillons de la totalité des choses
existantes et pressenties, provoquent, au moment de se clore, la
félicité
R. Char
|
Dans les rues de la ville, il
y a mon amour.
Peu importe où il va dans le temps divisé.
Il n'est plus mon amour : chacun peut lui parler.
Il ne se souvient plus qui, au juste, l'aima
Et l'éclaire de loin pour qu'il ne tombe pas !
R. Char
|
Nous
promenions notre visage
(Nous fûmes deux, je le maintiens)
Sur maints charmes de paysage,
Ô sœur, y comparant les tiens.
Mallarmé |
Tel
qu'en Lui-même enfin l'éternité le change,
Le poète suscite avec un glaive nu
Son siècle épouvanté de n'avoir pas connu
Que la mort triomphait dans cette voix étrange!
Mallarmé
|
Pour
survivre il suffit qu'à tes lèvres j'emprunte
Le souffle de mon nom murmuré tout un soir.
S. Mallarmé
|
La
chair est triste, hélas ! et j'ai lu tous les livres.
Fuir ! là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres
D'être parmi l'écume inconnue et les cieux !
Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux
Ne retiendra ce coeur qui dans la mer se trempe
Ô nuits ! ni la clarté déserte de ma lampe
Sur le vide papier que la blancheur défend
Et ni la jeune femme allaitant son enfant.
Je partirai ! Steamer balançant ta mâture,
Lève l'ancre pour une exotique nature !
Un Ennui, désolé par les cruels espoirs,
Croit encore à l'adieu suprême des mouchoirs !
Et, peut-être, les mâts, invitant les orages,
Sont-ils de ceux qu'un vent penche sur les naufrages
Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots ...
Mais, ô mon cœur, entends le chant des matelots !
Mallarmé
|
Princesse,
nommez-nous berger de vos sourires!
*
De
l'orient passé des Temps
Nulle étoffe jadis venue
Ne vaut la chevelure nue
Que loin des bijoux tu détends.
*
Le vierge, le vivace et le bel
aujourd'hui
Va-t-il nous déchirer avec un coup d'aile ivre
Ce lac dur oublié que hante sous le givre
Le transparent glacier des vols qui n'ont pas fui !
*
Un automne jonché de
taches de rousseur
*
Mallarmé
|
Le
moment où je parle est déjà le passé
Boileau
|
J'étais
à toi peut-être avant de t'avoir vu.
Ma
vie en se formant, fut promise à la tienne;
Ton
nom m'en avertit par un trouble imprévu;
Ton
âme s'y cachait pour éveiller la mienne.
M. Desbordes-Valmore
|
Par
les sentiers abrupts où les fauves s’engagent,
Sur un pic ébloui qui monte en geyser d’or,
Compagnon fabuleux de l’aigle et du condor,
Le Poète nourrit sa tristesse sauvage...
Laissant la foule aux liens d’un opaque sommeil,
Pour découvrir enfin l’azur de sa patrie
Il reprit le chemin blasphémé du soleil !
Léon DEUBEL.
|
Avec
l’aube toujours ta plainte me réveille,
André ! toujours ton nom tourmente mon oreille ;
Car toujours sans pitié, persécuteurs enfants,
Vous brisez son sommeil par vos cris triomphants.
...Qui ne veut le bonheur ? L’homme, dès qu’il
respire,
Le demande au breuvage à ses lèvres promis :
Plus tard il le demande à des songes amis ;
Hélas ! il le demande encor quand il expire !
André l’attend aussi : comme un frêle arbrisseau
Jeté
sur un terrain aride,
Sous
l’ardent soleil qui le ride,
Attend
la fraîcheur du ruisseau ;
Sa
jeunesse se fane et tombe
Sans
éclat, sans sève, sans bruit ;
Et,
loin du monde et loin du bruit,
André
l’attend sur une tombe !
Marceline DESBORDES-VALMORE.
|
Ils
montrent le chemin, mais tu donnes la force
D’y porter tous nos pas, d’y marcher jusqu’au bout...
Racine
|
Habitude de marcher,
Habitude de courir,
Terre couverte et découverte,
Plus petite qu'un empire,
Bien étendue,
Mienne ici et là,
Ailleurs aussi,
Avec le geste pour rire
De cueillir
Les arbres et les promeneurs,
Leurs ombres et leurs cannes,
Le sol partout divisé.
Eluard
|
J'ai
rêvé tellement fort de toi,
J'ai tellement marché, tellement parlé,
Tellement aimé ton ombre,
Qu'il ne me reste plus rien de toi.
Il me reste d'être l'ombre parmi les ombres
D'être cent fois plus ombre que l'ombre
D'être l'ombre qui viendra et reviendra
Dans ta vie ensoleillée
Desnos
(son tout dernier poème) |
J'aime
la majesté des souffrances humaines
A. De Vigny
|
Le
vent se lève, il faut tenter de vivre
Valéry
|
Que
m'importe ma condition sur terre ? que m'importe où que je sois
? Partout où il y a des hommes, je suis chez mes frères;
partout où il n'y en a pas, je suis chez moi.
Rousseau
|
S'il
y a du bonheur sur la terre, c'est dans l'asile où nous vivons
qu'il faut le chercher.
Rousseau
|
Voyager
à pied c'est voyager comme Thalés, Platon, Pythagore. J'ai
peine à comprendre comment un philosophe peut se résoudre à
voyager autrement, et s'arracher à l'examen des richesses qu'il
foule aux pieds et que la terre prodigue à sa vue.
Rousseau
|
"Il faut être heureux
cher Émile; c'est la fin de tout être sensible; c'est le
premier désir que nous imprima la nature
Rousseau
|
Je n'ai voyagé à pied que
dans mes beaux jours, et toujours avec délices. Bientôt, les
devoirs, les affaires, un bagage à porter, m'ont forcé de
faire le monsieur et de prendre des voitures; les soucis
rongeants, les embarras, la gêne, y sont montés avec moi; dés
lors, au lieu qu'auparavant dans mes voyages je ne sentais que le
plaisir d'aller, je n'ai plus senti que le plaisir
d'arriver.
Rousseau
|
Au
premier soleil nous croyons qu'on sort de l'hiver comme d'une
chemise... Cela vient que nous ne savons généralement pas
jouir de ce qui est et que nous suspendons toujours notre
bonheur à l'espérance du futur. Rien de plus beau cependant
que ces orages, ces foudres qui ricochent dans l'azur, ces vents
chargés de flottes dorées, ces ciels pleins de Babels qui s'écroulent
et se reconstruisent. Vous attendiez le chaud, voila le froid?
Goûtez le froid : s'il est là, c'est que votre bonheur doit se
construire autour de lui.
Giono
|
Nous
ne ferons jamais que de mauvais riches, nous étions de si bon
pauvres.
Brassens
|
L'opulence est une infamie
St Just
|
Le matin est
radieux; la lumière pique. Renonce à ta visite. Ils peuvent
attendre, et non ta joie.
Camus
|
Le
jour s'achève, les feuilles crissent. Ils attendront encore, tu
les aimes mieux d'ici. Parler sépare, aussi.
Camus
|
C'
qui va s'en évader des larmes!
...C'
qui va en couler d' la piquié!
Plaind'
les pauvr's c'est comm' vendr' ses charmes
C'est
un vrai commerce, un méquier!
L'Hiver
les murs sont plein d'affiches
Pour
Fêt's et bals de charité,
Car
pour nous s'courir, eul' mond' riche
Faut
qu'y gambille à not' santé!
Gabriel
Randon (Jehan Rictus)
|
La
jeune fille est blanche,
elle
a des veines vertes
aux
poignets, dans ses manches
ouvertes.
Est-ce
qu'elle se doute
qu'elle
vous prend le coeur
en
cueillant sur la route
des
fleurs!
Dans
les petits chemins
elle
remplit ses mains
de
piquants de bruyères,
de
fougères.
Elle
est grande, elle est blanche,
elle
a des bras très doux.
Elle
est très droite et penche le
cou.
Francis
Jammes
|
Qu’y
a-t-il en moi, que je t’aime ?
Qu’y a-t-il en toi, que tu m’aimes ?
Qu’y a-t-il en moi, que tu m’aimes ?
Qu’y a-t-il en toi, que je t’aime ?
Andrzej Swietochowski
|
Toute
nuit enfin se termine,
La mienne seule a ce destin,
Que d'autant plus qu'elle chemine,
Moins elle approche du matin.
Malherbe
|
Vivez
donc vos jours sans mesure !
Terre et ciel ! céleste flambeau !
Montagnes, mers, et toi, nature,
Souris longtemps sur mon tombeau !
Effacé du livre de vie,
Que le néant même m'oublie !
J'admire et ne suis point jaloux !
Ma pensée a vécu d'avance
Et meurt avec une espérance
Plus impérissable que vous.
Lamartine
|
Sous
ce ciel où la vie, où le bonheur abonde,
Sur ces rives que l'œil se plaît à parcourir,
Nous avons respiré cet air d'un autre monde,
Élysée !... et cependant on dit qu'il faut mourir
Lamartine
|
Elle a passé,
la jeune fille
Vive et preste comme un oiseau :
A la main une fleur qui brille,
A la bouche un refrain nouveau.
C'est peut-être
la seule au monde
Dont le coeur au mien répondrait,
Qui venant dans ma nuit profonde
D'un seul regard l'éclaircirait !
Mais non, ma
jeunesse est finie...
Adieu, doux rayon qui m'as lui,
Parfum, jeune fille, harmonie...
Le bonheur passait, il a fui !
Gérard de
Nerval
|
Bonheur fané, cheveux au
vent
Baisers volés, rêves mouvants,
Que reste-t-il de tout cela ? Dites le moi ...
Trenet
Ça prouve que par les femmes
L'homme est toujours guéri Carabi
Carabi, Titi, Carabi, Toto,
Carabo, Compère Guilleri
Comptine
|
J'ai connu beaucoup de
chemins,
j'ai tracé beaucoup de sentiers,
navigué sur cent océans,
et accosté à cent rivages.
Partout j'ai vu
des caravanes de tristesse,
de fiers et mélancoliques
ivrognes à l'ombre noire
et des cuistres, dans les
coulisses,
qui regardent, se taisent et se croient
savants, car ils ne boivent pas
le vin des tavernes.
sale engeance qui va cheminant
et empeste la terre. . .
...Et partout j'ai vu
des gens qui dansent ou qui jouent,
quand ils le peuvent, et qui labourent
leurs quatre empans de terre.
Arrivent-ils quelque part,
jamais ne demandent où ils sont.
Quand ils vont cheminant, ils vont
sur le dos d'une vieille mule ;
ils ne connaissent point la hâte,
pas même quand c'est jour de fête.
S'il y a du vin, ils en boivent,
sinon ils boivent de l'eau fraîche.
Ce sont de braves gens qui
vivent,
qui travaillent, passent et rêvent,
et qui un jour comme tant d'autres
reposent sous la terre.
Antonio
Machado
|
Tout
c'qu'on fait dans un seul jour
Et comme on allonge le temps,
Plus d'trois fois dans un seul jour,
Content, pas content, content!
Y a dans la chambre une odeur
D'amour tendre et de goudron.
Ca vous met la joie dans le cœur
La peine aussi et c'est bon.
On
n'est pas la pour causer,
Mais on pens' mêm' dans l'amour
On pens' que d'main y f'ra jour
Et qu'c'est un' calamité.
C'est là l'sort de la marine,
Et de tout's nos petit's chéries,
On accost' mais on devine
Qu'ça s'ra pas le paradis!
On
aura beau s'dépécher
Fair' bon dieu, la pige au temps,
Et l'bourrer d'tous nos pêchés
Ca n's'ra pas ça et pourtant...
Tout's les joies, tous les soucis,
Des amours qui dur'nt toujours,
On les r'trouvent en raccourci
Dans nos p'tits amours d'un jour
Paul
Fort
|
Moi,
pour la modestie, je ne crains personne!
Satie (?)
|
La
vie est à peine un peu plus vieille que la mort.
P. Valéry
|
Les
Passantes
Je veux dédier ce poème
A toutes les femmes qu'on aime
Pendant quelques instants secrets
A celles qu'on connaît a peine
Qu'un destin différent entraîne
Et qu'on ne retrouve jamais
A celle qu'on voit apparaître
Une seconde à sa fenêtre
Et qui, preste, s'évanouit
Mais dont la svelte silhouette
Est si gracieuse et fluette
Qu'on en demeure épanoui
A la compagne de voyage
Dont les yeux, charmant paysage
Font paraître court le chemin
Qu'on est seul, peut-être, a comprendre
Et qu'on laisse pourtant descendre
Sans avoir effleure sa main
A celles qui sont déjà prises
Et qui, vivant des heures grises
Près d'un être trop différent
Vous ont, inutile folie,
Laisse voir la mélancolie
D'un avenir désespérant
Chères images aperçues
Espérances d'un jour déçues
Vous serez dans l'oubli demain
Pour peu que le bonheur survienne
Il est rare qu'on se souvienne
Des épisodes du chemin
Mais si l'on a manque sa vie
on songe avec un peu d'envie
A tous ces bonheurs entrevus
Aux baisers qu'on n'osa pas prendre
Aux coeurs qui doivent vous attendre
Aux yeux qu'on n'a jamais revus
Alors, aux soirs de lassitude
Tout en peuplant sa solitude
Des fantômes du souvenir
On pleure les lèvres absentes
De toutes ces belles passantes
Que l'on n'a pas su retenir
Antoine Pol
|
Le
coeur d'homme s'encombre
Lourd
de tout ce qu'il aima
Un
d'eux a perdu son ombre
Contre
un mur d'Hiroshima
Cocteau
|
... Heureux les égarés de la
mer ! Et de la Mer aussi qu'on dise : heureuse l'égarée !...
Une même vague par le monde, une même vague parmi nous,
haussant, roulant l'hydre amoureuse de sa force... Et du talon
divin, cette pulsation très forte, et qui tout gagne... Amour
et mer de même lit, amour et mer au même lit...
St John Perse
|
Comme un vol de
gerfauts hors du charnier natal,
Fatigués de porter leurs misères hautaines,
De Palos de Moguer, routiers et capitaines
Partaient, ivres d'un rêve héroïque et brutal.
Ils allaient
conquérir le fabuleux métal
Que Cipango mûrit dans ses mines lointaines,
Et les vents alizés inclinaient leurs antennes
Aux bords mystérieux du monde occidental.
Chaque soir,
espérant des lendemains épiques,
L'azur phosphorescent de la mer des Tropiques
Enchantait leur sommeil d'un mirage doré;
Où, penchés
à l'avant de blanches caravelles,
Ils regardaient monter en un ciel ignoré
Du fond de l'Océan des étoiles nouvelles.
José Maria
de Heredia
|
Lettre
à un jeune Poète
Une seule chose est nécessaire:
la solitude.
La grande solitude intérieure. Aller en soi-même, et ne
rencontrer, des heures durant, personne c'est à cela
qu'il faut parvenir.
Être seul comme l'enfant est seul quand les grandes personnes
vont et viennent, mêlées à des choses qui semblent grandes à
l'enfant et importantes du seul fait que les grandes personnes
s'en affairent et que l'enfant ne comprend rien à ce qu'elle
font.
R. M. Rilke
|
Mais depuis
trop de mois nous vivons à la veille,
Nous veillons, nous gardons la lumière et le feu,
Nous parlons à voix basse et nous tendons l'oreille
A maint bruit vite éteint et perdu comme au jeu.
Or, du fond de
la nuit, nous témoignons encore
De la splendeur du jour et de tous ses présents.
Si nous ne dormons pas c'est pour guetter l'aurore
Qui prouvera qu'enfin nous vivons au présent
Desnos (1942)
|
Le
train ne peut partir que les portes fermées.
SNCF
|
Les
enfants au-dessus de quatre ans qui commencent à fumer, à rêver,
à composer, paieront place entière. |
Un graal entre ses deux mains
Une pucelle tenait,
Qui avec les valets venait,
Belle, élancée et bien parée;
Quand elle fut dedans entrée
Avec le graal qu'elle tint
Une si grande clarté en vint
Qu'ainsi perdirent les
chandelles
Leur clarté, comme les
étoiles
Quand soleil se lève ou la
lune.
Chrestien de Troyes
|
Je
ne suis ni dieu ni démon,
Et
tu m'as nommé par mon nom
Quand
tu m'as appelé ton frère;
Où
tu vas, j'y serais toujours,
Jusques
au dernier de tes jours,
Où
j'irais m'asseoir sur ta pierre.
Le
ciel m'a confié ton coeur.
Quand
tu seras dans la douleur,
Viens
à moi sans inquiétude;
Je
te suivrai sur le chemin :
Mais
je ne puis toucher ta main,
Ami,
je suis la Solitude.
A. De Musset
|
Dés
le matin, par mes grand'routes coutumières
Qui
traversent champs et vergers,
Je
suis parti clair et léger,
Le
corps enveloppé de vent et de lumière.
Je
vais, je ne sais où. Je vais, je suis heureux;
C'est
fête et joie en ma poitrine;
Que
m'importe droits et doctrines,
Le
caillou sonne et luit sous mes talons poudreux.
Je
marche avec l'orgueil d'aimer l'air et la terre,
D'être
immense et d'être fou
Et
de mêler le monde et tout
A
cet enivrement de vie élémentaire...
E.
Verhaeren
|
Plus que le
marbre dur me plaît l'ardoise fine,
Plus mon Loire
gaulois que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la douceur angevine.
Joachim Du
BELLAY
|
Le
voyageur
"Plus de chemin ! Abîme
alentour et silence de mort !" Tu l'as voulu ! ta volonté
s'est écartée du chemin ! hardi voyageur ! C'est le moment !
Le regard froid et clair ! Tu es perdu si tu crois au danger.
Nietzsche
|
Ce sont de drôles de types
qui vivent de leur plume
Ou qui ne vivent pas c'est selon la saison
Ce sont de drôles de types qui traversent la brume
Avec des pas d'oiseaux sous l'aile des chansons
Ils mettent des couleurs sur
le gris des pavés
Quand ils marchent dessus ils se croient sur la mer
Ils mettent des rubans autour de l'alphabet
Et sortent dans la rue leurs mots pour prendre l'air
Ferré (Les poètes)
|
...Les
hommes ne rêvent jamais dans le même sens; ils ont chacun leur
rêve particulier... Il n'est pas certain que je fasse mon
bonheur où vous faites le vôtre... Voilà pourquoi les grandes
machines sociales qui font du bonheur un produit manufacturé ne
livrent finalement que de la camelote.
Giono
|
J'ai
la nostalgie du pain de ma mère,
Du café de ma mère,
Des caresses de ma mère...
Et l'enfance grandit en moi,
Jour après jour,
Et je chéris ma vie, car
Si je mourais,
J'aurais honte des larmes de ma mère...
J'ai vieilli. Ramène les étoiles
de l'enfance
Et je partagerai avec les petits des oiseaux,
Le chemin du retour...
Au nid de ton attente
Mahmoud DARWICH
|
Oui,
sans doute, tout meurt ; ce monde est un grand rêve,
Et le peu de bonheur qui nous vient en chemin,
Nous n'avons pas plus tôt ce roseau dans la main,
Que le vent nous l'enlève...
Je me dis seulement : "A
cette heure, en ce lieu,
Un jour, je fus aimé, j'aimais, elle était belle."
J'enfouis ce trésor dans mon âme immortelle,
Et je l'emporte à Dieu.
Musset
|
Les
plus désespérés sont les chants les plus beaux,
Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots.
Musset
|
...quelqu'un
n'a pas posé sa main sur ma nuque
aussi le manque n'a-t-il pas de visage
il est là simplement comme un toucher froid
un rappel de la parfaite solitude
Bernard Noël
|
Le torrent est aride. Au
printemps, il emporte tout. Les hommes qui lui ressemblent reçoivent
la privation et la volupté du même coeur reconnaissant.
Camus
|
Supplique à ma mère
Il m'est difficile de dire
avec les mots d'un fils
que du fond de mon coeur je ressemble bien peu à ça.
De mon propre coeur, tu es la
seule au monde qui sache,
ce qui toujours, avant chaque autre amour, a été en lui.
Aussi pour cela dois-je te
dire ce qu'il est horrible de connaître :
c'est au dedans de ta grâce même que naît mon angoisse.
Tu es irremplaçable. Pour
cela la vie que tu m'as donnée
est vouée à la solitude.
Et je ne veux pas être seul.
J'ai une faim infinie
d'amour, de cet amour des corps sans âme.
Parce que l'âme est en toi,
toi tu es, mais toi
tu es ma mère et ton amour est ma servitude :
l'enfance je l'ai passée
esclave de ce haut sens,
irrémédiable, d'un engagement immense.
C'était l'unique manière
pour sentir la vie,
l'unique couleur, l'unique forme : maintenant c'est fini.
Nous survivons : et c'est la
confusion
d'une vie ressuscitée hors de la raison.
Je t'en supplie, ah, je te
supplie de ne pas vouloir mourir.
Je suis ici, seul, avec toi, en un futur avril...
Pier Paolo Pasolini
|
A
défaut du pardon laissons venir l'oubli...
Musset
|
Terre,
soleil, vallons, belle et douce nature,
Je
vous dois une larme au bord de mon tombeau!
L'air
est si parfumé! La lumière est si pure!
Aux
regards d'un mourant le soleil est si beau!
Lamartine
|
|
Apollinaire
|
|
Passent
les jours et passent les semaines
Ni
temps passé
Ni
les amours reviennent
Sous
le pont Mirabeau coulent la Seine
Vienne
la nuit sonne l'heure
Les
jours s'en vont et je demeure
|
Mon
beau navire ô ma mémoire
Avons-nous
assez navigué
Dans
une onde mauvaise à boire
Avons-nous
assez divagué
De
la belle aube au triste soir.
|
L'anémone
et l'ancolie
Ont
poussé dans le jardin
Où
dort la mélancolie
Entre
l'amour et le dédain
|
La chambre est veuve
Chacun pour soi
Présence neuve
On paye au mois
Fermons nos Portes
À double tour
Chacun apporte
Son seul amour
|
Jamais
les crépuscules ne vaincront les aurores
Étonnons-nous
des soirs mais vivons les matins
Méprisons
l'immuable comme la pierre ou l'or
Sources
qui tariront Que je trempe mes mains
En
l'onde heureuse
|
Incertitudes, ô mes délices
Vous et moi nous nous en allons
Comme s'en vont les écrevisses
A reculons, à reculons
L'ombre,
encre du soleil...
|
Il
vient un temps pour la souffrance
Il
vient un temps pour la bonté
Jeunesse
adieu voici le temps
où
l'on connaîtra l'avenir
Sans
mourir de sa connaissance
|
Il
est des loups de toute sorte
Je
connais le plus inhumain
Mon
coeur que le diable l'emporte
Et
qu'il le dépose à sa porte
N'est
plus qu'un jouet dans sa main
|
Tandis
que nous n'y sommes pas
Que
de filles deviennent belles
Voici
l'hiver et pas à pas
Leur
beauté s'éloignera d'elles
|
Les Colchiques
Le pré est vénéneux mais
joli en automne
Les vaches y paissant
Lentement s'empoisonnent
Le colchique couleur de cerne et de lilas
Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-là
Violâtres comme leur cerne et comme cet automne
Et ma vie pour tes yeux lentement s'empoisonne
Les enfants de l'école viennent avec fracas
Vêtus de hoquetons et jouant de l'harmonica
Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères
Filles de leurs filles et sont couleur de tes paupières
Qui battent comme les fleurs battent au vent dément
Le gardien du troupeau chante tout doucement
Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent
Pour toujours ce grand pré mal fleuri par l'automne
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Feu d'artifice en acier
Qu'il est charmant cet éclairage
Artifice d'artificier
Mêler quelque grâce au courage
Deux fusants
Rose éclatement
Comme deux seins que l'on dégrafe
Tendent leurs bouts insolemment
IL SUT AIMER
Quelle épitaphe
Un poète dans la forêt
Regarde avec indifférence
Son revolver au cran d'arrêt
Des roses mourir d'espérance
Il songe aux roses de Saadi
Et soudain sa tête se penche
Car une rose lui redit
La molle courbe d'une hanche
L'air est plein d'un terrible alcool
Filtré des étoiles mi-closes
Les obus caressent le mol
Parfum nocturne où tu reposes
Mortification des roses
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Marie
Vous
y dansiez petite fille
Y danserez-vous mère-grand
C'est la maclotte qui
sautille
Toutes les cloches
sonneront
Quand donc reviendrez-vous
Marie
Les
masques sont silencieux
Et la musique est si
lointaine
Qu'elle semble venir des
cieux
Oui je veux vous aimer mais vous aimer à peine
Et mon mal est délicieux
Les
brebis s'en vont dans la neige
Flocons de laine et ceux
d'argent
Des soldats passent et que
n'ai-je
Un coeur à moi ce coeur
changeant
Changeant et puis encor que
sais-je
Sais-je
où s'en iront tes cheveux
Crépus comme mer qui
moutonne
Sais-je où s'en iront tes
cheveux
Et tes mains feuilles de
l'automne
Que jonchent aussi nos
aveux
Je
passais au bord de la Seine
Un livre ancien sous le
bras
Le fleuve est pareil à ma
peine
Il s'écoule et ne tarit
pas
Quand donc finira la
semaine
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Ô
ma jeunesse abandonnée...
Ô
ma jeunesse abandonnée
Comme une guirlande fanée
Voici que s'en vient la saison
Et des dédains et du soupçon
Le
paysage est fait de toiles
Il coule un faux fleuve de sang
Et sous l'arbre fleuri d'étoiles
Un clown est l'unique passant
Un
froid rayon poudroie et joue
Sur les décors et sur ta joue
Un coup de revolver un cri
Dans l'ombre un portrait a souri
La
vitre du cadre est brisée
Un air qu'on ne peut définir
Hésite entre son et pensée
Entre avenir et souvenir
Ô
ma jeunesse abandonnée
Comme une guirlande fanée
Voici que s'en vient la saison
Des regrets et de la raison
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Je
connais gens de toutes sortes
Ils
n'égalent pas leur destins
Indécis
comme feuilles mortes
Leurs
yeux sont des feux mal éteints
Leurs
cœurs bougent comme leurs portes
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Dans
la plaine les baladins
S'éloignent au long des jardins
Devant l'huis des auberges grises
Par les villages sans églises
Et
les enfants s'en vont devant
Les autres suivent en rêvant
Chaque arbre fruitier se résigne
Quand de très loin ils lui font signe
Ils
ont des poids ronds ou carrés
Des tambours, des cerceaux dorés
L'ours et le singe animaux sages
Quêtent des sous sur leur passage
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J'ai
cueilli ce brin de bruyère
L'automne est morte souviens-t'en
Nous ne nous verrons plus sur Terre
Odeur du temps brin de bruyère
Et souviens-toi que je t'attends
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Ses
cheveux sont d'or on dirait
Un
bel éclair qui durerait
Ou
ses flammes qui se pavanent
Dans
les roses-thé qui se fanent
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Si je mourais là-bas...
Si
je mourais là-bas sur le front de l'armée
Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée
Et puis mon souvenir s'éteindrait comme meurt
Un obus éclatant sur le front de l'armée
Un bel obus semblable aux mimosas en fleur
Et
puis ce souvenir éclaté dans l'espace
Couvrirait de mon sang le monde tout entier
La mer les monts les vals et l'étoile qui passe
Les soleils merveilleux mûrissant dans l'espace
Comme font les fruits d'or autour de Baratier
Souvenir
oublié vivant dans toutes choses
Je rougirais le bout de tes jolis seins roses
Je rougirais ta bouche et tes cheveux sanglants
Tu ne vieillirais point toutes ces belles choses
Rajeuniraient toujours pour leurs destins galants
Le
fatal giclement de mon sang sur le monde
Donnerait au soleil plus de vive clarté
Aux fleurs plus de couleur plus de vitesse à l'onde
Un amour inouï descendrait sur le monde
L'amant serait plus fort dans ton corps écarté
Lou
si je meurs là-bas souvenir qu'on oublie
- Souviens-t'en quelquefois aux instants de folie
De jeunesse et d'amour et d'éclatante ardeur -
Mon sang c'est la fontaine ardente du bonheur
Et sois la plus heureuse étant la plus jolie
Ô
mon unique amour et ma grande folie
a
nuit descend
n y pressent
n long destin de
sang
*
Les
Indiennes Utes arborent
Pour le bonheur du passager
Un bouton chargé de phosphore
Dans une figue de Judée
Laiteuse comme un sein d'aurore
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Le voyageur
Ouvrez-moi
cette porte où je frappe en pleurant
La vie est variable aussi bien que l'Euripe
Tu regardais un banc de nuages descendre
Avec le paquebot orphelin vers les fièvres futures
Et de tous ces regrets de tous ces repentirs
Te souviens-tu
Vagues poissons arqués fleurs surmarines
Une nuit c'était la mer
Et les fleuves s'y répandaient
Je m'en souviens je m'en souviens encore
Un soir je descendis dans une auberge triste
Auprès de Luxembourg
Dans le fond de la salle il s'envolait un Christ
Quelqu'un avait un furet
Un autre un hérisson
L'on jouait aux cartes
Et toi tu m'avais oublié
Te souviens-tu du long orphelinat des gares
Nous traversâmes des villes qui tout le jour tournaient
Et vomissaient la nuit le soleil des journées
O matelots ô femmes sombres et vous mes compagnons
Souvenez-vous-en
Deux matelots qui ne s'étaient jamais quittés
Deux matelots qui ne s'étaient jamais parlé
Le plus jeune en mourant tomba sur le côté
O
vous chers compagnons
Sonneries électriques des gares chant des moissonneuses
Traîneau d'un boucher régiment des rues sans nombre
Cavalerie des ponts nuits livides de l'alcool
Les villes que j'ai vues vivaient comme des folles
Te souviens-tu des banlieues et du troupeau plaintif des
paysages
Les cyprès projetaient sous la lune leurs ombres
J'écoutais cette nuit au déclin de l'été
Un oiseau langoureux et toujours irrité
Et le bruit éternel d'un fleuve large et sombre
Mais tandis que mourants roulaient vers l'estuaire
Tous les regards tous les regards de tous les yeux
Les bords étaient déserts herbus silencieux
Et la montagne a l'autre rive était très claire
Alors sans bruit sans qu'on pût voir rien de vivant
Contre le mont passèrent des ombres vivaces
De profil ou soudain tournant leurs vagues faces
Et tenant l'ombre de leurs lances en avant
Les ombres contre le mont perpendiculaire
Grandissaient ou parfois s'abaissaient brusquement
Et ces ombres barbues pleuraient humainement
En glissant pas à pas sur la montagne claire
Qui donc reconnais-tu sur ces vieilles photographies
Te souviens-tu du jour où une abeille tomba dans le feu
C'était tu t'en souviens à la fin de l'été
Deux matelots qui ne s'étaient jamais quittés
L'aîné portait au cou une chaîne de fer
Le plus jeune mettait ses cheveux blonds en tresse
Ouvrez-moi cette porte où je frappe en pleurant
La vie est variable aussi bien que l'Euripe
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Est-il
trop tard mon coeur pour ce mystérieux voyage
La
barque nous attend c'est notre imagination
Et
la réalité nous rejoindra un jour
Si
les âmes ce sont rejointes
Pour
le trop beau pèlerinage
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Le
cuisinier plume le oies
Ah!
tombe neige
Tombe
et que n'ai-je
Ma
bien-aimée entre mes bras.
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Mais
le canal était désert
Le
quai aussi et nul ne vit
Comment
mes baisers retrouvèrent
Celle
à qui j'ai donné ma vie
Un
jour pendant plus de deux heures
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Les
poils de cette chèvre et même
Ceux
d'or pour qui prit tant de peine
Jason,
ne valent rien au prix
Des
cheveux dont je suis épris.
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Mon
verre est plein d'un vin trembleur comme une flamme |
J'allais
par des chemins perfides,
Douloureusement incertain.
Vos chères mains furent mes guides.
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L'anneau
se met à l'annulaire
Après
le baiser des aveux
Ce
que nos lèvres murmurèrent
Est
dans l'anneau des annulaires
Mets
des roses dans tes cheveux
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Ô
ma jeunesse abandonnée
Comme
une guirlande fanée
Voici
que s'en vient la saison
Et
des dédains et du soupçon
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Qu'as-tu
fait, ô toi que voilà
Pleurant sans cesse,
Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà,
De ta jeunesse
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Rien
n'est mort que ce qui n'existe pas encore
Près du passé luisant demain est incolore |
La maison des morts
S'étendant sur les côtés du cimetière
La maison des morts l'encadrait comme un cloître
À l'intérieur de ses vitrines
Pareilles à celles des boutiques de modes
Au lieu de sourire debout
Les mannequins grimaçaient pour l'éternité
Arrivé à Munich depuis quinze ou vingt jours
J'étais entré pour la première fois et par hasard
Dans ce cimetière presque désert
Et je claquais des dents
Devant toute cette bourgeoisie
Exposée et vêtue le mieux possible
En attendant la sépulture
Soudain
Rapide comme ma mémoire
Les yeux se rallumèrent
De cellule vitrée en cellule vitrée
Le ciel se peupla d'une apocalypse
Vivace
Et la terre plate à l'infini
Comme avant Galilée
Se couvrit de mille mythologies immobiles
Un ange en diamant brisa toutes les vitrines
Et les morts m'accostèrent
Avec des mines de l'autre monde
Mais leur visage et leurs attitudes
Devinrent bientôt moins funèbres
Le ciel et la terre perdirent
Leur aspect fantasmagorique
Les morts se réjouissaient
De voir leurs corps trépassés entre eux et la lumière
Ils riaient de leur ombre et l'observaient
Comme si véritablement
C'eût été leur vie passée
Alors je les dénombrai
Ils étaient quarante-neuf hommes
Femmes et enfants
Qui embellissaient à vue d'œil
Et me regardaient maintenant
Avec tant de cordialité
Tant de tendresse même
Que les prenant en amitié
Tout à coup
Je les invitai à une promenade
Loin des arcades de leur maison
Et nous bras dessus bras dessous
Fredonnant des airs militaires
Oui tous vos péchés sont absous
Nous quittâmes le cimetière
Nous traversâmes la ville
Et rencontrions souvent
Des parents des amis qui se joignaient
À la petite troupe des morts récents
Tous étaient si gais
Si charmants si bien portants
Que bien malin qui aurait pu
Distinguer les morts des vivants
Puis dans la campagne
On s'éparpilla
Deux chevau-légers nous joignirent
On leur fit fête
Ils coupèrent du bois de viorne
Et du sureau
Dont ils firent des sifflets
Qu'ils distribuèrent aux enfants
Plus tard dans un bal champêtre
Les couples mains sur les épaules
Dansèrent au son aigre des cithares
Ils n'avaient pas oublié la danse
Ces morts et ces mortes
On buvait aussi
Et de temps à autre une cloche
Annonçait qu'un nouveau tonneau
Allait être mis en perce
Une morte assise sur un banc
Près d'un buisson d'épine-vinette
Laissait un étudiant
Agenouillé à ses pieds
Lui parler de fiançailles
Je vous attendrai
Dix ans vingt ans s'il le faut
Votre volonté sera la mienne
Je vous attendrai
Toute votre vie
Répondait la morte
Des enfants
De ce monde ou bien de l'autre
Chantaient de ces rondes
Aux paroles absurdes et Lyriques
Qui sans doute sont les restes
Des plus anciens monuments poétiques
De l'humanité
L'étudiant passa une bague
À l'annulaire de la jeune morte
Voici le gage de mon amour
De nos fiançailles
Ni le temps ni l'absence
Ne nous feront oublier nos promesses
Et un jour nous aurons une belle noce
Des touffes de myrte
À nos vêtements et dans vos cheveux
Un beau sermon à l'église
De longs discours après le banquet
Et de la musique
De la musique
Nos enfants
Dit la fiancée
Seront plus beaux plus beaux encore
Hélas ! la bague était brisée
Que s'ils étaient d'argent ou d'or
D'émeraude ou de diamant
Seront plus clairs plus clairs encore
Que les astres du firmament
Que la lumière de l'aurore
Que vos regards mon fiancé
Auront meilleure odeur encore
Hélas ! la bague était brisée
Que le lilas qui vient d'éclore
Que le thym la rose ou qu'un brin
De lavande ou de romarin
Les musiciens s'en étant allés
Nous continuâmes la promenade
Au bord d'un lac
On s'amusa à faire des ricochets
Avec des cailloux plats
Sur l'eau qui dansait à peine
Des barques étaient amarrées
Dans un havre
On les détacha
Après que toute la troupe se fut embarquée
Et quelques morts ramaient
Avec autant de vigueur que les vivants
À l'avant du bateau que je gouvernais
Un mort parlait avec une jeune femme
Vêtue d'une robe jaune
D'un corsage noir
Avec des rubans bleus et d'un chapeau gris
Orné d'une seule petite plume défrisée
Je vous aime
Disait-il
Comme le pigeon aime la colombe
Comme l'insecte nocturne
Aime la lumière
Trop tard
Répondait la vivante
Repoussez repoussez cet amour défendu
Je suis mariée
Voyez l'anneau qui brille
Mes mains tremblent
Je pleure et je voudrais mourir
Les barques étaient arrivées
À un endroit où les chevau-légers
Savaient qu'un écho répondait de la rive
On ne se lassait point de l'interroger
Il y eut des questions si extravagantes
Et des réponses tellement pleines d'à-propos
Que c'était à mourir de rire
Et le mort disait à la vivante
Nous serions si heureux ensemble
Sur nous l'eau se refermera
Mais vous pleurez et vos mains tremblent
Aucun de nous ne reviendra
On reprit terre et ce fut le retour
Les amoureux s'entr'aimaient
Et par couples aux belles bouches
Marchaient à distances inégales
Les morts avaient choisi les vivantes
Et les vivants
Des mortes
Un genévrier parfois
Faisait l'effet d'un fantôme
Les enfants déchiraient l'air
En soufflant les joues creuses
Dans leurs sifflets de viorne
Ou de sureau
Tandis que les militaires
Chantaient des tyroliennes
En se répondant comme on le fait
Dans la montagne
Dans la ville
Notre troupe diminua peu à peu
On se disait
Au revoir
À demain
À bientôt
Beaucoup entraient dans les brasseries
Quelques-uns nous quittèrent
Devant une boucherie canine
Pour y acheter leur repas du soir
Bientôt je restai seul avec ces morts
Qui s'en allaient tout droit
Au cimetière
Où Sous les Arcades
Je les reconnus
Couchés Immobiles
Et bien vêtus
Attendant la sépulture derrière les vitrines
Ils ne se doutaient pas
De ce qui s'était passé
Mais les vivants en gardaient le souvenir
C'était un bonheur inespéré
Et si certain
Qu'ils ne craignaient point de le perdre
Ils vivaient si noblement
Que ceux qui la veille encore
Les regardaient comme leurs égaux
Ou même quelque chose de moins
Admiraient maintenant
Leur puissance leur richesse et leur génie
Car y a-t-il rien qui vous élève
Comme d'avoir aimé un mort ou une morte
On devient si pur qu'on en arrive
Dans les glaciers de la mémoire
À se confondre avec le souvenir
On est fortifié pour la vie
Et l'on n'a plus besoin de personne
Guillaume Apollinaire (1880 - 1918)
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