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(Eclats de vers)

      Je vous propose une sélection personnelle, très subjective, mais j'espère originale, de   poèmes éclatés.

   En fait et plus prosaïquement, j'emprunte et collectionne depuis longtemps, sur un cahier, les mots et les phrases (poèmes et proses) qui me touchent; internet a fait le reste! Il s'agit donc, avant tout, d'une démarche égoïste que je  vous propose éventuellement de partager; certains extraits ont un peu vieillis (comme moi), mais je les garde en souvenir. Je me rend compte en les relisant qu'on s'y révèle plus que dans une confession; qu'importe, puisque d'une part on ne se connaît pas (!?) et d'autre part, sûrement que d'autres, je l'espère, s'y reconnaîtront!

Aragon

Verlaine

Poètes contemporains

Apollinaire

Poèmes empruntés 1

Poèmes empruntés 3

Poèmes sensuels

Je m'appuie sur la fenêtre,
je contemple dans ma joie mes branches favorites...
L'ombre s'épaissit, cependant je m'attarde
à caresser le pin solitaire.

Tan Yuan Ming

Aucun chemin de fleurs ne conduit à la gloire...
*

On rencontre sa destinée souvent
Par des chemins qu'on prend pour l'éviter

La Fontaine

Les ailes frissonnaient sous le souffle du soir,
le moteur de son chant berçait l'âme endormie,
le soleil me frôlait de sa couleur pâlie.

A. de Saint-Exupéry

...Et j'irais loin, bien loin, comme un bohémien,

Par la nature, heureux comme avec une femme.

AR

Ici vit un homme libre. Personne ne le sert.

Camus

Je sais que la vie est belle : je voudrais le sentir.

R. Char

Deux yeux purs dans les bois

Cherchent en pleurant la tête habitable

R. Char

Va mon baiser, quitte le frêle gîte, Ton amour est trouvé, un bouleau te le tend. La résine d'été et la neige d'hiver Ont pris garde.

R. Char


Nous commençons toujours notre vie sur un crépuscule admirable. Tout ce qui nous aidera, 
plus tard, à nous dégager de nos déconvenues s'assemble autour de nos premiers pas.

R. Char

La femme suit des yeux l'homme vivant qu'elle aime

R. Char

La femme respire, l'homme se tient debout

R. Char

Il est insupportable de se sentir part solidaire et impuissante d'une beauté en train de mourir 
par la faute d'autrui. Solidaire dans sa poitrine et impuissant dans le mouvement de son esprit. 
Si ce que je te montre et ce que je te donne te semblent moindres que ce que je te cache,
 ma balance est pauvre, ma glane est sans vertu. Tu es reposoir d'obscurité sur ma face trop 
offerte, poème. Ma splendeur et ma souffrance se sont glissées entre les deux. 
Jeter bas l'existence laidement accumulée et retrouver le regard qui l'aima assez à son début 
pour en étaler le fondement. Ce qui me reste à vivre est dans cet assaut, dans ce frisson.

 
René Char

 

Dans mon pays, les tendres preuves du printemps et les oiseaux mal habillés sont préférés aux buts lointains.

Dans mon pays on ne questionne pas un homme ému.

Bonjour à peine est inconnu dans mon pays...

Il y a des feuilles, beaucoup de feuilles sur les arbres de mon pays. Les branches sont libres de n'avoir pas de fruits...

On ne croit pas à la bonne foi du vainqueur.

Dans mon pays, on remercie.

R. Char

Au seuil de la pesanteur, le poète comme l'araignée construit sa route dans le ciel. En partie caché à lui même, il apparaît aux autres, dans les rayons de sa ruse inouïe, mortellement visible.

R. Char

Être poète, c'est avoir de l'appétit pour un malaise dont la consommation, parmi les tourbillons de la totalité des choses existantes et pressenties, provoquent, au moment de se clore, la félicité

R. Char

Dans les rues de la ville, il y a mon amour.
Peu importe où il va dans le temps divisé.
Il n'est plus mon amour : chacun peut lui parler.
Il ne se souvient plus qui, au juste, l'aima
Et l'éclaire de loin pour qu'il ne tombe pas !

R. Char

Nous promenions notre visage
(Nous fûmes deux, je le maintiens)
Sur maints charmes de paysage,
Ô sœur, y comparant les tiens.

Mallarmé

Tel qu'en Lui-même enfin l'éternité le change,
Le poète suscite avec un glaive nu
Son siècle épouvanté de n'avoir pas connu
Que la mort triomphait dans cette voix étrange!

Mallarmé

Pour survivre il suffit qu'à tes lèvres j'emprunte
Le souffle de mon nom murmuré tout un soir.

S. Mallarmé

La chair est triste, hélas ! et j'ai lu tous les livres.
Fuir ! là-bas fuir! Je sens que des oiseaux sont ivres
D'être parmi l'écume inconnue et les cieux !
Rien, ni les vieux jardins reflétés par les yeux
Ne retiendra ce coeur qui dans la mer se trempe
Ô nuits ! ni la clarté déserte de ma lampe
Sur le vide papier que la blancheur défend
Et ni la jeune femme allaitant son enfant.
Je partirai ! Steamer balançant ta mâture,
Lève l'ancre pour une exotique nature !

Un Ennui, désolé par les cruels espoirs,
Croit encore à l'adieu suprême des mouchoirs !
Et, peut-être, les mâts, invitant les orages,
Sont-ils de ceux qu'un vent penche sur les naufrages
Perdus, sans mâts, sans mâts, ni fertiles îlots ...
Mais, ô mon cœur, entends le chant des matelots !

Mallarmé
Princesse, nommez-nous berger de vos sourires!

*

De l'orient passé des Temps
Nulle étoffe jadis venue
Ne vaut la chevelure nue
Que loin des bijoux tu détends.

*

Le vierge, le vivace et le bel aujourd'hui
Va-t-il nous déchirer avec un coup d'aile ivre
Ce lac dur oublié que hante sous le givre
Le transparent glacier des vols qui n'ont pas fui !

*

Un automne jonché de taches de rousseur
*

Mallarmé

Le moment où je parle est déjà le passé

Boileau

 

J'étais à toi peut-être avant de t'avoir vu.

Ma vie en se formant, fut promise à la tienne;

Ton nom m'en avertit par un trouble imprévu;

Ton âme s'y cachait pour éveiller la mienne.

M. Desbordes-Valmore

 

Par les sentiers abrupts où les fauves s’engagent,
Sur un pic ébloui qui monte en geyser d’or,
Compagnon fabuleux de l’aigle et du condor,
Le Poète nourrit sa tristesse sauvage...


Laissant la foule aux liens d’un opaque sommeil,
Pour découvrir enfin l’azur de sa patrie
Il reprit le chemin blasphémé du soleil !

Léon DEUBEL.

 

Avec l’aube toujours ta plainte me réveille,
André ! toujours ton nom tourmente mon oreille ;
Car toujours sans pitié, persécuteurs enfants,
Vous brisez son sommeil par vos cris triomphants.


...Qui ne veut le bonheur ? L’homme, dès qu’il respire,
Le demande au breuvage à ses lèvres promis :
Plus tard il le demande à des songes amis ;
Hélas ! il le demande encor quand il expire !

André l’attend aussi : comme un frêle arbrisseau
                    Jeté sur un terrain aride,
                    Sous l’ardent soleil qui le ride,
                    Attend la fraîcheur du ruisseau ;
                    Sa jeunesse se fane et tombe
                   Sans éclat, sans sève, sans bruit ;
                    Et, loin du monde et loin du bruit,
                    André l’attend sur une tombe !

Marceline DESBORDES-VALMORE.

Ils montrent le chemin, mais tu donnes la force
D’y porter tous nos pas, d’y marcher jusqu’au bout...
Racine


Habitude de marcher,
Habitude de courir,
Terre couverte et découverte,
Plus petite qu'un empire,
Bien étendue,
Mienne ici et là,
Ailleurs aussi,
Avec le geste pour rire
De cueillir
Les arbres et les promeneurs,
Leurs ombres et leurs cannes,
Le sol partout divisé.

Eluard

J'ai rêvé tellement fort de toi,
J'ai tellement marché, tellement parlé,
Tellement aimé ton ombre,
Qu'il ne me reste plus rien de toi.
Il me reste d'être l'ombre parmi les ombres
D'être cent fois plus ombre que l'ombre
D'être l'ombre qui viendra et reviendra
Dans ta vie ensoleillée

Desnos 
(son tout dernier poème)
J'aime la majesté des souffrances humaines

A. De Vigny

Le vent se lève, il faut tenter de vivre

Valéry

Que m'importe ma condition sur terre ? que m'importe où que je sois ? Partout où il y a des hommes, je suis chez mes frères; partout où il n'y en a pas, je suis chez moi.

Rousseau

S'il y a du bonheur sur la terre, c'est dans l'asile où nous vivons qu'il faut le chercher.

Rousseau

Voyager à pied c'est voyager comme Thalés, Platon, Pythagore. J'ai peine à comprendre comment un philosophe peut se résoudre à voyager autrement, et s'arracher à l'examen des richesses qu'il foule aux pieds et que la terre prodigue à sa vue.

Rousseau

"Il faut être heureux cher Émile; c'est la fin de tout être sensible; c'est le premier désir que nous imprima la nature

Rousseau

Je n'ai voyagé à pied que dans mes beaux jours, et toujours avec délices. Bientôt, les devoirs, les affaires, un bagage à porter, m'ont forcé de faire le monsieur et de prendre des voitures; les soucis rongeants, les embarras, la gêne, y sont montés avec moi; dés lors, au lieu qu'auparavant dans mes voyages je ne sentais que le plaisir d'aller, je n'ai plus senti que le plaisir d'arriver.

Rousseau

Au premier soleil nous croyons qu'on sort de l'hiver comme d'une chemise... Cela vient que nous ne savons généralement pas jouir de ce qui est et que nous suspendons toujours notre bonheur à l'espérance du futur. Rien de plus beau cependant que ces orages, ces foudres qui ricochent dans l'azur, ces vents chargés de flottes dorées, ces ciels pleins de Babels qui s'écroulent et se reconstruisent. Vous attendiez le chaud, voila le froid? Goûtez le froid : s'il est là, c'est que votre bonheur doit se construire autour de lui.

Giono

 

Nous ne ferons jamais que de mauvais riches, nous étions de si bon pauvres.

Brassens

L'opulence est une infamie

St Just

Le matin est radieux; la lumière pique. Renonce à ta visite. Ils peuvent attendre, et non ta joie.

   Camus 

Le jour s'achève, les feuilles crissent. Ils attendront encore, tu les aimes mieux d'ici. Parler sépare, aussi.

Camus

C' qui va s'en évader des larmes!

...C' qui va en couler d' la piquié!

Plaind' les pauvr's c'est comm' vendr' ses charmes

C'est un vrai commerce, un méquier!

 

L'Hiver les murs sont plein d'affiches

Pour Fêt's et bals de charité,

Car pour nous s'courir, eul' mond' riche

Faut qu'y gambille à not' santé!

 

Gabriel Randon (Jehan Rictus)

 

La jeune fille est blanche,

elle a des veines vertes

aux poignets, dans ses manches 

ouvertes.

 

Est-ce qu'elle se doute

qu'elle vous prend le coeur

en cueillant sur la route

des fleurs!

 

Dans les petits chemins

elle remplit ses mains

de piquants de bruyères,

de fougères.

 

Elle est grande, elle est blanche,

elle a des bras très doux.

Elle est très droite et penche le cou.

Francis Jammes

 

Qu’y a-t-il en moi, que je t’aime ?
Qu’y a-t-il en toi, que tu m’aimes ?
Qu’y a-t-il en moi, que tu m’aimes ?
Qu’y a-t-il en toi, que je t’aime ?

Andrzej Swietochowski

Toute nuit enfin se termine,
La mienne seule a ce destin,
Que d'autant plus qu'elle chemine,
Moins elle approche du matin.

Malherbe

 

Vivez donc vos jours sans mesure !
Terre et ciel ! céleste flambeau !
Montagnes, mers, et toi, nature,
Souris longtemps sur mon tombeau !
Effacé du livre de vie,
Que le néant même m'oublie !
J'admire et ne suis point jaloux !
Ma pensée a vécu d'avance
Et meurt avec une espérance
Plus impérissable que vous.

Lamartine

 

Sous ce ciel où la vie, où le bonheur abonde,
Sur ces rives que l'œil se plaît à parcourir,
Nous avons respiré cet air d'un autre monde,
Élysée !... et cependant on dit qu'il faut mourir

Lamartine

 

Elle a passé, la jeune fille
Vive et preste comme un oiseau :
A la main une fleur qui brille,
A la bouche un refrain nouveau.

C'est peut-être la seule au monde
Dont le coeur au mien répondrait,
Qui venant dans ma nuit profonde
D'un seul regard l'éclaircirait !

Mais non, ma jeunesse est finie...
Adieu, doux rayon qui m'as lui,
Parfum, jeune fille, harmonie...
Le bonheur passait, il a fui !

Gérard de Nerval

 

Bonheur fané, cheveux au vent
Baisers volés, rêves mouvants,
Que reste-t-il de tout cela ? Dites le moi ...

Trenet

 

 

Ça prouve que par les femmes
L'homme est toujours guéri Carabi
Carabi, Titi, Carabi, Toto,
Carabo, Compère Guilleri

Comptine

J'ai connu beaucoup de chemins,
j'ai tracé beaucoup de sentiers,
navigué sur cent océans,
et accosté à cent rivages.

Partout j'ai vu
des caravanes de tristesse,
de fiers et mélancoliques
ivrognes à l'ombre noire

et des cuistres, dans les coulisses,
qui regardent, se taisent et se croient
savants, car ils ne boivent pas
le vin des tavernes.

sale engeance qui va cheminant
et empeste la terre. . .

...Et partout j'ai vu
des gens qui dansent ou qui jouent,
quand ils le peuvent, et qui labourent
leurs quatre empans de terre.

Arrivent-ils quelque part,
jamais ne demandent où ils sont.
Quand ils vont cheminant, ils vont
sur le dos d'une vieille mule ;

ils ne connaissent point la hâte,
pas même quand c'est jour de fête.
S'il y a du vin, ils en boivent,
sinon ils boivent de l'eau fraîche.

Ce sont de braves gens qui vivent,
qui travaillent, passent et rêvent,
et qui un jour comme tant d'autres
reposent sous la terre.

Antonio Machado

 

Tout c'qu'on fait dans un seul jour
Et comme on allonge le temps,
Plus d'trois fois dans un seul jour,
Content, pas content, content!
Y a dans la chambre une odeur
D'amour tendre et de goudron.
Ca vous met la joie dans le cœur
La peine aussi et c'est bon.

On n'est pas la pour causer,
Mais on pens' mêm' dans l'amour
On pens' que d'main y f'ra jour
Et qu'c'est un' calamité.
C'est là l'sort de la marine,
Et de tout's nos petit's chéries,
On accost' mais on devine
Qu'ça s'ra pas le paradis!

On aura beau s'dépécher
Fair' bon dieu, la pige au temps,
Et l'bourrer d'tous nos pêchés
Ca n's'ra pas ça et pourtant...
Tout's les joies, tous les soucis,
Des amours qui dur'nt toujours,
On les r'trouvent en raccourci
Dans nos p'tits amours d'un jour

Paul Fort

 

Moi, pour la modestie, je ne crains personne!

Satie (?)

 

La vie est à peine un peu plus vieille que la mort.

P. Valéry

 

Les Passantes

 Je veux dédier ce poème
A toutes les femmes qu'on aime
Pendant quelques instants secrets
A celles qu'on connaît a peine
Qu'un destin différent entraîne
Et qu'on ne retrouve jamais

A celle qu'on voit apparaître
Une seconde à sa fenêtre
Et qui, preste, s'évanouit
Mais dont la svelte silhouette
Est si gracieuse et fluette
Qu'on en demeure épanoui

A la compagne de voyage
Dont les yeux, charmant paysage
Font paraître court le chemin
Qu'on est seul, peut-être, a comprendre
Et qu'on laisse pourtant descendre
Sans avoir effleure sa main

A celles qui sont déjà prises
Et qui, vivant des heures grises
Près d'un être trop différent
Vous ont, inutile folie,
Laisse voir la mélancolie
D'un avenir désespérant

Chères images aperçues
Espérances d'un jour déçues
Vous serez dans l'oubli demain
Pour peu que le bonheur survienne
Il est rare qu'on se souvienne
Des épisodes du chemin

Mais si l'on a manque sa vie
on songe avec un peu d'envie
A tous ces bonheurs entrevus
Aux baisers qu'on n'osa pas prendre
Aux coeurs qui doivent vous attendre
Aux yeux qu'on n'a jamais revus

Alors, aux soirs de lassitude
Tout en peuplant sa solitude
Des fantômes du souvenir
On pleure les lèvres absentes
De toutes ces belles passantes
Que l'on n'a pas su retenir

Antoine Pol

 

Le coeur d'homme s'encombre

Lourd de tout ce qu'il aima

Un d'eux a perdu son ombre

Contre un mur d'Hiroshima

Cocteau

 

... Heureux les égarés de la mer ! Et de la Mer aussi qu'on dise : heureuse l'égarée !... Une même vague par le monde, une même vague parmi nous, haussant, roulant l'hydre amoureuse de sa force... Et du talon divin, cette pulsation très forte, et qui tout gagne... Amour et mer de même lit, amour et mer au même lit...

St John Perse

 

 

Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal,
Fatigués de porter leurs misères hautaines,
De Palos de Moguer, routiers et capitaines
Partaient, ivres d'un rêve héroïque et brutal.

Ils allaient conquérir le fabuleux métal
Que Cipango mûrit dans ses mines lointaines,
Et les vents alizés inclinaient leurs antennes
Aux bords mystérieux du monde occidental.

Chaque soir, espérant des lendemains épiques,
L'azur phosphorescent de la mer des Tropiques
Enchantait leur sommeil d'un mirage doré;

Où, penchés à l'avant de blanches caravelles,
Ils regardaient monter en un ciel ignoré
Du fond de l'Océan des étoiles nouvelles.

José Maria de Heredia

Lettre à un jeune Poète

Une seule chose est nécessaire: la solitude. 
La grande solitude intérieure. Aller en soi-même, et ne rencontrer, des heures durant, personne  c'est à cela qu'il faut parvenir. 
Être seul comme l'enfant est seul quand les grandes personnes vont et viennent, mêlées à des choses qui semblent grandes à l'enfant et importantes du seul fait que les grandes personnes s'en affairent et que l'enfant ne comprend rien à ce qu'elle font.

R. M. Rilke

 

Mais depuis trop de mois nous vivons à la veille,
Nous veillons, nous gardons la lumière et le feu,
Nous parlons à voix basse et nous tendons l'oreille
A maint bruit vite éteint et perdu comme au jeu.

Or, du fond de la nuit, nous témoignons encore
De la splendeur du jour et de tous ses présents.
Si nous ne dormons pas c'est pour guetter l'aurore
Qui prouvera qu'enfin nous vivons au présent

Desnos (1942)

 

Le train ne peut partir que les portes fermées.

SNCF

Les enfants au-dessus de quatre ans qui commencent à fumer, à rêver, à composer, paieront place entière.
 

Un graal entre ses deux mains

Une pucelle tenait,

Qui avec les valets venait,

Belle, élancée et bien parée;

Quand elle fut dedans entrée

Avec le graal qu'elle tint

Une si grande clarté en vint

Qu'ainsi perdirent les chandelles

 Leur clarté, comme les étoiles 

Quand soleil se lève ou la lune.

Chrestien de Troyes

 

Je ne suis ni dieu ni démon,

Et tu m'as nommé par mon nom

Quand tu m'as appelé ton frère;

Où tu vas, j'y serais toujours,

Jusques au dernier de tes jours,

Où j'irais m'asseoir sur ta pierre.

 

Le ciel m'a confié ton coeur.

Quand tu seras dans la douleur,

Viens à moi sans inquiétude;

Je te suivrai sur le chemin :

Mais je ne puis toucher ta main,

Ami, je suis la Solitude.

 

A. De Musset

 

 

Dés le matin, par mes grand'routes coutumières

Qui traversent champs et vergers,

Je suis parti clair et léger,

Le corps enveloppé de vent et de lumière.

 

Je vais, je ne sais où. Je vais, je suis heureux;

C'est fête et joie en ma poitrine;

Que m'importe droits et doctrines,

Le caillou sonne et luit sous mes talons poudreux.

 

Je marche avec l'orgueil d'aimer l'air et la terre,

D'être immense et d'être fou

Et de mêler le monde et tout

A cet enivrement de vie élémentaire...

E. Verhaeren

 

 

Plus que le marbre dur me plaît l'ardoise fine,

Plus mon Loire gaulois que le Tibre latin,
Plus mon petit Liré que le mont Palatin,
Et plus que l'air marin la douceur angevine.

Joachim Du BELLAY

 

Le voyageur

"Plus de chemin ! Abîme alentour et silence de mort !" Tu l'as voulu ! ta volonté s'est écartée du chemin ! hardi voyageur ! C'est le moment ! Le regard froid et clair ! Tu es perdu si tu crois au danger.

Nietzsche

 

Ce sont de drôles de types qui vivent de leur plume
Ou qui ne vivent pas c'est selon la saison
Ce sont de drôles de types qui traversent la brume
Avec des pas d'oiseaux sous l'aile des chansons

Ils mettent des couleurs sur le gris des pavés
Quand ils marchent dessus ils se croient sur la mer
Ils mettent des rubans autour de l'alphabet
Et sortent dans la rue leurs mots pour prendre l'air

Ferré (Les poètes)

 

...Les hommes ne rêvent jamais dans le même sens; ils ont chacun leur rêve particulier... Il n'est pas certain que je fasse mon bonheur où vous faites le vôtre... Voilà pourquoi les grandes machines sociales qui font du bonheur un produit manufacturé ne livrent finalement que de la camelote.

Giono

 

J'ai la nostalgie du pain de ma mère,
Du café de ma mère,
Des caresses de ma mère...
Et l'enfance grandit en moi,
Jour après jour,
Et je chéris ma vie, car
Si je mourais,
J'aurais honte des larmes de ma mère...

J'ai vieilli. Ramène les étoiles de l'enfance
Et je partagerai avec les petits des oiseaux,
Le chemin du retour...
Au nid de ton attente

Mahmoud DARWICH

Oui, sans doute, tout meurt ; ce monde est un grand rêve,
Et le peu de bonheur qui nous vient en chemin,
Nous n'avons pas plus tôt ce roseau dans la main,
                      Que le vent nous l'enlève...

Je me dis seulement : "A cette heure, en ce lieu,
Un jour, je fus aimé, j'aimais, elle était belle."
J'enfouis ce trésor dans mon âme immortelle,
                         Et je l'emporte à Dieu.

Musset

Les plus désespérés sont les chants les plus beaux,
Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots.

Musset

...quelqu'un n'a pas posé sa main sur ma nuque
aussi le manque n'a-t-il pas de visage
il est là simplement comme un toucher froid
un rappel de la parfaite solitude

Bernard Noël

Le torrent est aride. Au printemps, il emporte tout. Les hommes qui lui ressemblent reçoivent la privation et la volupté du même coeur reconnaissant.

Camus

Supplique à ma mère

Il m'est difficile de dire avec les mots d'un fils
que du fond de mon coeur je ressemble bien peu à ça.

De mon propre coeur, tu es la seule au monde qui sache,
ce qui toujours, avant chaque autre amour, a été en lui.

Aussi pour cela dois-je te dire ce qu'il est horrible de connaître :
c'est au dedans de ta grâce même que naît mon angoisse.

Tu es irremplaçable. Pour cela la vie que tu m'as donnée
est vouée à la solitude.

Et je ne veux pas être seul. J'ai une faim infinie
d'amour, de cet amour des corps sans âme.

Parce que l'âme est en toi, toi tu es, mais toi
tu es ma mère et ton amour est ma servitude :

l'enfance je l'ai passée esclave de ce haut sens,
irrémédiable, d'un engagement immense.

C'était l'unique manière pour sentir la vie,
l'unique couleur, l'unique forme : maintenant c'est fini.

Nous survivons : et c'est la confusion
d'une vie ressuscitée hors de la raison.

Je t'en supplie, ah, je te supplie de ne pas vouloir mourir.
Je suis ici, seul, avec toi, en un futur avril...

Pier Paolo Pasolini

 

A défaut du pardon laissons venir l'oubli...

Musset

Terre, soleil, vallons, belle et douce nature,

Je vous dois une larme au bord de mon tombeau!

L'air est si parfumé! La lumière est si pure!

Aux regards d'un mourant le soleil est si beau!

Lamartine

 

 

Apollinaire

 

 

Passent les jours et passent les semaines

Ni temps passé

Ni les amours reviennent

Sous le pont Mirabeau coulent la Seine

 

Vienne la nuit sonne l'heure

Les jours s'en vont et je demeure

 

Mon beau navire ô ma mémoire

Avons-nous assez navigué

Dans une onde mauvaise à boire 

Avons-nous assez divagué

De la belle aube au triste soir.

 

L'anémone et l'ancolie

Ont poussé dans le jardin

Où dort la mélancolie

Entre l'amour et le dédain

 

La chambre est veuve
Chacun pour soi
Présence neuve

On paye au mois

Fermons nos Portes
À double tour
Chacun apporte
Son seul amour

Jamais les crépuscules ne vaincront les aurores

Étonnons-nous des soirs mais vivons les matins

Méprisons l'immuable comme la pierre ou l'or

Sources qui tariront Que je trempe mes mains

En l'onde heureuse

 


Incertitudes, ô mes délices
Vous et moi nous nous en allons
Comme s'en vont les écrevisses
A reculons, à reculons




L'ombre, encre du soleil...

Il vient un temps pour la souffrance

Il vient un temps pour la bonté

Jeunesse adieu voici le temps

où l'on connaîtra l'avenir

Sans mourir de sa connaissance

 

Il est des loups de toute sorte

Je connais le plus inhumain

Mon coeur que le diable l'emporte

Et qu'il le dépose à sa porte

N'est plus qu'un jouet dans sa main

Tandis que nous n'y sommes pas

Que de filles deviennent belles

Voici l'hiver et pas à pas

Leur beauté s'éloignera d'elles


Les Colchiques

Le pré est vénéneux mais joli en automne
Les vaches y paissant
Lentement s'empoisonnent
Le colchique couleur de cerne et de lilas
Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-là
Violâtres comme leur cerne et comme cet automne
Et ma vie pour tes yeux lentement s'empoisonne

Les enfants de l'école viennent avec fracas
Vêtus de hoquetons et jouant de l'harmonica
Ils cueillent les colchiques qui sont comme des mères
Filles de leurs filles et sont couleur de tes paupières
Qui battent comme les fleurs battent au vent dément

Le gardien du troupeau chante tout doucement
Tandis que lentes et meuglant les vaches abandonnent
Pour toujours ce grand pré mal fleuri par l'automne

 


Feu d'artifice en acier
Qu'il est charmant cet éclairage
Artifice d'artificier
Mêler quelque grâce au courage

Deux fusants
Rose éclatement
Comme deux seins que l'on dégrafe
Tendent leurs bouts insolemment
IL SUT AIMER
Quelle épitaphe

Un poète dans la forêt
Regarde avec indifférence
Son revolver au cran d'arrêt
Des roses mourir d'espérance

Il songe aux roses de Saadi
Et soudain sa tête se penche
Car une rose lui redit
La molle courbe d'une hanche

L'air est plein d'un terrible alcool
Filtré des étoiles mi-closes
Les obus caressent le mol
Parfum nocturne où tu reposes
Mortification des roses

 

Marie

Vous y dansiez petite fille
Y danserez-vous mère-grand
C'est la maclotte qui sautille
Toutes les cloches sonneront
Quand donc reviendrez-vous Marie

Les masques sont silencieux
Et la musique est si lointaine
Qu'elle semble venir des cieux
Oui je veux vous aimer mais vous aimer à peine
Et mon mal est délicieux

Les brebis s'en vont dans la neige
Flocons de laine et ceux d'argent
Des soldats passent et que n'ai-je
Un coeur à moi ce coeur changeant
Changeant et puis encor que sais-je

Sais-je où s'en iront tes cheveux
Crépus comme mer qui moutonne
Sais-je où s'en iront tes cheveux
Et tes mains feuilles de l'automne
Que jonchent aussi nos aveux

Je passais au bord de la Seine
Un livre ancien sous le bras
Le fleuve est pareil à ma peine
Il s'écoule et ne tarit pas
Quand donc finira la semaine

Ô ma jeunesse abandonnée...

Ô ma jeunesse abandonnée
Comme une guirlande fanée
Voici que s'en vient la saison
Et des dédains et du soupçon

Le paysage est fait de toiles
Il coule un faux fleuve de sang
Et sous l'arbre fleuri d'étoiles
Un clown est l'unique passant

Un froid rayon poudroie et joue
Sur les décors et sur ta joue
Un coup de revolver un cri
Dans l'ombre un portrait a souri

La vitre du cadre est brisée
Un air qu'on ne peut définir
Hésite entre son et pensée
Entre avenir et souvenir

Ô ma jeunesse abandonnée
Comme une guirlande fanée
Voici que s'en vient la saison
Des regrets et de la raison

 

Je connais gens de toutes sortes

Ils n'égalent pas leur destins

Indécis comme feuilles mortes

Leurs yeux sont des feux mal éteints

Leurs cœurs bougent comme leurs portes

 

Dans la plaine les baladins
S'éloignent au long des jardins
Devant l'huis des auberges grises
Par les villages sans églises

Et les enfants s'en vont devant
Les autres suivent en rêvant
Chaque arbre fruitier se résigne
Quand de très loin ils lui font signe

Ils ont des poids ronds ou carrés
Des tambours, des cerceaux dorés
L'ours et le singe animaux sages
Quêtent des sous sur leur passage

J'ai cueilli ce brin de bruyère
L'automne est morte souviens-t'en
Nous ne nous verrons plus sur Terre
Odeur du temps brin de bruyère
Et souviens-toi que je t'attends

                   

Ses cheveux sont d'or on dirait

Un bel éclair qui durerait

Ou ses flammes qui se pavanent

Dans les roses-thé qui se fanent

 


Si je mourais là-bas...

Si je mourais là-bas sur le front de l'armée
Tu pleurerais un jour ô Lou ma bien-aimée
Et puis mon souvenir s'éteindrait comme meurt
Un obus éclatant sur le front de l'armée
Un bel obus semblable aux mimosas en fleur

Et puis ce souvenir éclaté dans l'espace
Couvrirait de mon sang le monde tout entier
La mer les monts les vals et l'étoile qui passe
Les soleils merveilleux mûrissant dans l'espace
Comme font les fruits d'or autour de Baratier

Souvenir oublié vivant dans toutes choses
Je rougirais le bout de tes jolis seins roses
Je rougirais ta bouche et tes cheveux sanglants
Tu ne vieillirais point toutes ces belles choses
Rajeuniraient toujours pour leurs destins galants

Le fatal giclement de mon sang sur le monde
Donnerait au soleil plus de vive clarté
Aux fleurs plus de couleur plus de vitesse à l'onde
Un amour inouï descendrait sur le monde
L'amant serait plus fort dans ton corps écarté

Lou si je meurs là-bas souvenir qu'on oublie
- Souviens-t'en quelquefois aux instants de folie
De jeunesse et d'amour et d'éclatante ardeur -
Mon sang c'est la fontaine ardente du bonheur
Et sois la plus heureuse étant la plus jolie

Ô mon unique amour et ma grande folie

a nuit descend
n y pressent
n long destin de sang

 

 

*

 

 

 

Les Indiennes Utes arborent
Pour le bonheur du passager
Un bouton chargé de phosphore
Dans une figue de Judée
Laiteuse comme un sein d'aurore

 

 

 

 

 

 


Le voyageur

Ouvrez-moi cette porte où je frappe en pleurant

La vie est variable aussi bien que l'Euripe

Tu regardais un banc de nuages descendre
Avec le paquebot orphelin vers les fièvres futures
Et de tous ces regrets de tous ces repentirs
Te souviens-tu

Vagues poissons arqués fleurs surmarines
Une nuit c'était la mer
Et les fleuves s'y répandaient

Je m'en souviens je m'en souviens encore

Un soir je descendis dans une auberge triste
Auprès de Luxembourg
Dans le fond de la salle il s'envolait un Christ
Quelqu'un avait un furet
Un autre un hérisson
L'on jouait aux cartes
Et toi tu m'avais oublié

Te souviens-tu du long orphelinat des gares
Nous traversâmes des villes qui tout le jour tournaient
Et vomissaient la nuit le soleil des journées
O matelots ô femmes sombres et vous mes compagnons
Souvenez-vous-en

Deux matelots qui ne s'étaient jamais quittés
Deux matelots qui ne s'étaient jamais parlé
Le plus jeune en mourant tomba sur le côté

O vous chers compagnons
Sonneries électriques des gares chant des moissonneuses
Traîneau d'un boucher régiment des rues sans nombre
Cavalerie des ponts nuits livides de l'alcool
Les villes que j'ai vues vivaient comme des folles

Te souviens-tu des banlieues et du troupeau plaintif des paysages

Les cyprès projetaient sous la lune leurs ombres
J'écoutais cette nuit au déclin de l'été
Un oiseau langoureux et toujours irrité
Et le bruit éternel d'un fleuve large et sombre

Mais tandis que mourants roulaient vers l'estuaire
Tous les regards tous les regards de tous les yeux
Les bords étaient déserts herbus silencieux
Et la montagne a l'autre rive était très claire

Alors sans bruit sans qu'on pût voir rien de vivant
Contre le mont passèrent des ombres vivaces
De profil ou soudain tournant leurs vagues faces
Et tenant l'ombre de leurs lances en avant

Les ombres contre le mont perpendiculaire
Grandissaient ou parfois s'abaissaient brusquement
Et ces ombres barbues pleuraient humainement
En glissant pas à pas sur la montagne claire

Qui donc reconnais-tu sur ces vieilles photographies
Te souviens-tu du jour où une abeille tomba dans le feu
C'était tu t'en souviens à la fin de l'été
Deux matelots qui ne s'étaient jamais quittés
L'aîné portait au cou une chaîne de fer
Le plus jeune mettait ses cheveux blonds en tresse

Ouvrez-moi cette porte où je frappe en pleurant

La vie est variable aussi bien que l'Euripe

Est-il trop tard mon coeur pour ce mystérieux voyage

La barque nous attend c'est notre imagination

 Et la réalité nous rejoindra un jour

Si les âmes ce sont rejointes

Pour le trop beau pèlerinage

 

Le cuisinier plume le oies

Ah! tombe neige

Tombe et que n'ai-je

Ma bien-aimée entre mes bras.

 

Mais le canal était désert

Le quai aussi et nul ne vit

Comment mes baisers retrouvèrent

Celle à qui j'ai donné ma vie

 Un jour pendant plus de deux heures

 

Les poils de cette chèvre et même

Ceux d'or pour qui prit tant de peine

Jason, ne valent rien au prix

Des cheveux dont je suis épris.

Mon verre est plein d'un vin trembleur comme une flamme
J'allais par des chemins perfides,
Douloureusement incertain.
Vos chères mains furent mes guides.

 

L'anneau se met à l'annulaire

Après le baiser des aveux

Ce que nos lèvres murmurèrent

Est dans l'anneau des annulaires

Mets des roses dans tes cheveux

 

Ô ma jeunesse abandonnée

Comme une guirlande fanée

Voici que s'en vient la saison

 Et des dédains et du soupçon

 

Qu'as-tu fait, ô toi que voilà
Pleurant sans cesse,
Dis, qu'as-tu fait, toi que voilà,
De ta jeunesse

Rien n'est mort que ce qui n'existe pas encore

Près du passé luisant demain est incolore


La maison des morts

S'étendant sur les côtés du cimetière
La maison des morts l'encadrait comme un cloître
À l'intérieur de ses vitrines
Pareilles à celles des boutiques de modes
Au lieu de sourire debout
Les mannequins grimaçaient pour l'éternité

Arrivé à Munich depuis quinze ou vingt jours
J'étais entré pour la première fois et par hasard
Dans ce cimetière presque désert
Et je claquais des dents
Devant toute cette bourgeoisie
Exposée et vêtue le mieux possible
En attendant la sépulture

Soudain
Rapide comme ma mémoire
Les yeux se rallumèrent
De cellule vitrée en cellule vitrée
Le ciel se peupla d'une apocalypse
Vivace
Et la terre plate à l'infini
Comme avant Galilée
Se couvrit de mille mythologies immobiles
Un ange en diamant brisa toutes les vitrines
Et les morts m'accostèrent
Avec des mines de l'autre monde
Mais leur visage et leurs attitudes
Devinrent bientôt moins funèbres
Le ciel et la terre perdirent
Leur aspect fantasmagorique

Les morts se réjouissaient
De voir leurs corps trépassés entre eux et la lumière
Ils riaient de leur ombre et l'observaient
Comme si véritablement
C'eût été leur vie passée
Alors je les dénombrai
Ils étaient quarante-neuf hommes
Femmes et enfants
Qui embellissaient à vue d'œil
Et me regardaient maintenant
Avec tant de cordialité
Tant de tendresse même
Que les prenant en amitié
Tout à coup
Je les invitai à une promenade
Loin des arcades de leur maison

Et nous bras dessus bras dessous
Fredonnant des airs militaires
Oui tous vos péchés sont absous
Nous quittâmes le cimetière

Nous traversâmes la ville
Et rencontrions souvent
Des parents des amis qui se joignaient
À la petite troupe des morts récents
Tous étaient si gais
Si charmants si bien portants
Que bien malin qui aurait pu
Distinguer les morts des vivants

Puis dans la campagne
On s'éparpilla
Deux chevau-légers nous joignirent
On leur fit fête
Ils coupèrent du bois de viorne
Et du sureau
Dont ils firent des sifflets
Qu'ils distribuèrent aux enfants

Plus tard dans un bal champêtre
Les couples mains sur les épaules
Dansèrent au son aigre des cithares

Ils n'avaient pas oublié la danse
Ces morts et ces mortes
On buvait aussi
Et de temps à autre une cloche
Annonçait qu'un nouveau tonneau
Allait être mis en perce

Une morte assise sur un banc
Près d'un buisson d'épine-vinette
Laissait un étudiant
Agenouillé à ses pieds
Lui parler de fiançailles

Je vous attendrai
Dix ans vingt ans s'il le faut
Votre volonté sera la mienne

Je vous attendrai
Toute votre vie
Répondait la morte

Des enfants
De ce monde ou bien de l'autre
Chantaient de ces rondes
Aux paroles absurdes et Lyriques
Qui sans doute sont les restes
Des plus anciens monuments poétiques
De l'humanité

L'étudiant passa une bague
À l'annulaire de la jeune morte
Voici le gage de mon amour
De nos fiançailles
Ni le temps ni l'absence
Ne nous feront oublier nos promesses
Et un jour nous aurons une belle noce
Des touffes de myrte
À nos vêtements et dans vos cheveux
Un beau sermon à l'église
De longs discours après le banquet
Et de la musique
De la musique

Nos enfants
Dit la fiancée
Seront plus beaux plus beaux encore
Hélas ! la bague était brisée
Que s'ils étaient d'argent ou d'or
D'émeraude ou de diamant
Seront plus clairs plus clairs encore
Que les astres du firmament
Que la lumière de l'aurore
Que vos regards mon fiancé
Auront meilleure odeur encore
Hélas ! la bague était brisée
Que le lilas qui vient d'éclore
Que le thym la rose ou qu'un brin
De lavande ou de romarin

Les musiciens s'en étant allés
Nous continuâmes la promenade
Au bord d'un lac
On s'amusa à faire des ricochets
Avec des cailloux plats
Sur l'eau qui dansait à peine

Des barques étaient amarrées
Dans un havre
On les détacha
Après que toute la troupe se fut embarquée
Et quelques morts ramaient
Avec autant de vigueur que les vivants

À l'avant du bateau que je gouvernais
Un mort parlait avec une jeune femme
Vêtue d'une robe jaune
D'un corsage noir
Avec des rubans bleus et d'un chapeau gris
Orné d'une seule petite plume défrisée

Je vous aime
Disait-il
Comme le pigeon aime la colombe
Comme l'insecte nocturne
Aime la lumière
Trop tard
Répondait la vivante
Repoussez repoussez cet amour défendu
Je suis mariée
Voyez l'anneau qui brille
Mes mains tremblent
Je pleure et je voudrais mourir

Les barques étaient arrivées
À un endroit où les chevau-légers
Savaient qu'un écho répondait de la rive
On ne se lassait point de l'interroger
Il y eut des questions si extravagantes
Et des réponses tellement pleines d'à-propos
Que c'était à mourir de rire
Et le mort disait à la vivante

Nous serions si heureux ensemble
Sur nous l'eau se refermera
Mais vous pleurez et vos mains tremblent
Aucun de nous ne reviendra

On reprit terre et ce fut le retour
Les amoureux s'entr'aimaient
Et par couples aux belles bouches
Marchaient à distances inégales

Les morts avaient choisi les vivantes
Et les vivants
Des mortes
Un genévrier parfois
Faisait l'effet d'un fantôme
Les enfants déchiraient l'air
En soufflant les joues creuses
Dans leurs sifflets de viorne
Ou de sureau
Tandis que les militaires
Chantaient des tyroliennes
En se répondant comme on le fait
Dans la montagne

Dans la ville
Notre troupe diminua peu à peu
On se disait
Au revoir
À demain
À bientôt
Beaucoup entraient dans les brasseries
Quelques-uns nous quittèrent
Devant une boucherie canine
Pour y acheter leur repas du soir

Bientôt je restai seul avec ces morts
Qui s'en allaient tout droit
Au cimetière
Où Sous les Arcades
Je les reconnus
Couchés Immobiles
Et bien vêtus
Attendant la sépulture derrière les vitrines

Ils ne se doutaient pas
De ce qui s'était passé
Mais les vivants en gardaient le souvenir
C'était un bonheur inespéré
Et si certain
Qu'ils ne craignaient point de le perdre

Ils vivaient si noblement
Que ceux qui la veille encore
Les regardaient comme leurs égaux
Ou même quelque chose de moins
Admiraient maintenant
Leur puissance leur richesse et leur génie
Car y a-t-il rien qui vous élève
Comme d'avoir aimé un mort ou une morte

On devient si pur qu'on en arrive
Dans les glaciers de la mémoire
À se confondre avec le souvenir
On est fortifié pour la vie
Et l'on n'a plus besoin de personne

Guillaume Apollinaire (1880 - 1918)