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C'est dans ce contexte que, vers 1690, courtisans
et "mondains" se prennent d'une passion furieuse pour le conte de fées. Les contes de fées existent depuis la nuit des temps. Ces récits étaient transmis, oralement, de génération en génération, depuis des âges immémoriaux, bien avant même que les civilisations judéo-chrétiennes et gréco-latines ne s'emparent de l'Occident. Mais, avant la fin du XVIIe siècle, nul ne se serait avisé de considérer les "contes de ma Mère l'Oye" comme un genre littéraire: on laissait aux nourrices ces histoires sans queue ni tête, dans lesquelles on ne décèle aucune trace de la "vraie" culture, c'est-à-dire celle que nous ont léguée Rome, la Grèce ou la Bible. Seuls quelques journaux de colportage destinés au petit peuple (on appelait cette presse "papier bleu" en raison de la couleur des feuilles utilisées pour ces brochures bon marché), transcrivaient quelques-uns de ces conte - tradition qui se poursuivra jusqu'au 19e siècle. Les deux frontispices ci-dessous proviennent d' "éditions pirates" des contes de Perrault et de Mme d'Auneuil, parues dans des livrets de colportage: |
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Or, voilà que, vers 1690, du jour au lendemain, le conte de fées, naguère l'apanage des enfants et des ignorants, devient l'exercice favori des plus grandes dames du royaume: on les écrit, on les récite en public, on en compose des variantes, on rivalise d'ingéniosité et de virtuosité, on met tout son talent à briller dans ce genre frivole et dérisoire. |
Que s'est-il passé, pour que les salons les plus raffinés s'emplissent de bons esprits retombés en enfance? Certains mettent en avant le désir d'évasion d'une noblesse désoeuvrée, dans des temps rendus difficiles par la crise économique et la succession des défaites militaires. D'autres y voient l'expression d'une nostalgie de l'enfance. D'autres encore concluent à une tentative pour ressusciter la tradition folklorique. De nos jours, les chercheurs inscrivent volontiers cet emballement dans le contexte de l'histoire littéraire: de 1688 à 1695 se déchaîne une querelle au cours de laquelle les "Anciens", partisans de l'héritage gréco-latin (Boileau, Racine, La Fontaine...) affrontent les "Modernes" (Perrault, Fontenelle...), qui affirment de leur côté que les écrivains Français du XVIIe siècle ont fait mieux que les Grecs et les Romains. Or, la vogue des contes de fées se développe en particulier dans les milieux mondains et féminins dévoués à la cause des "Modernes". Ainsi, la faveur dont jouissent les contes de fées pourrait être le fruit d'une stratégie du parti "Moderne" en vue de réhabiliter le fonds folklorique, national et médiéval, contre les "Anciens" fidèles à l'Antiquité de Virgile et d'Homère.
Toutes ces hypothèses, et d'autres encore, ont été avancées par les chercheurs (voir bibliographie). Ce qui est sûr, c'est que les contes écrits par Perrault, Mme d'Aulnoy ou Mlle l'Héritier n'ont que fort peu à voir avec la tradition folklorique: le matériau populaire est artistement travaillé et profondément transformé par ces auteurs, et le conte devient sous leur plume une oeuvre littéraire appartenant pleinement au monde de la culture savante. On appelle "contes de fées littéraires" ces récits pseudo-populaires, sublimés par l'alchimie de la langue classique.
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