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Second Rossignol de la France

 Éclats de vers


Aime-moi
Car sans toi,
Rien ne puis,
Rien ne suis.

 

Bonheur d'une paix sans victoire.

Le ciel est de cuivre
Sans lueur aucune.
On croirait voir vivre
Et mourir la Lune


Elle jouait avec sa chatte,
Et c'était merveille de voir
La main blanche et la blanche patte
S'ébattre dans l'ombre du soir.


Car au printemps l'air est si frais
Qu'en somme les roses naissantes
Qu'amour semble entr'ouvrir exprès
Ont de senteurs bien innocentes!
...
Ce fut le temps, sous de clairs ciels
(Vous en souvenez-vous Madame)
Des baisers superficiels
Et des sentiments à fleur d'âme.
...
Heureux instants! - mais vint l'été
Adieu, rafraîchissantes brises!
Un vent de lourde volupté
Investit nos âmes surprises.
...
L'Automne, heureusement, avec
Son jour froid et ses bises rudes,
Vint nus corriger, bref et sec,
De nos mauvaises habitudes,
...
Or c'est l'Hiver, Madame, et nos 
Parieurs tremblent pour leur bourse,
Et déjà les autres traîneaux
Osent nous disputer la course.
...
( Fêtes galantes)

CYTHERE

Un pavillon à claires-voies
abrite doucement nos joies
Qu'éventent des rosiers amis;

L'odeur des roses, faible, grâce
Au vent léger qui passe,
Se mêle au parfum qu'elle a mis;

Comme ses yeux l'avaient promis,
Son courage est grand et sa lèvre
Communique une exquise fièvre;

Et l'amour comblant tout, hormis
La faim, sorbets et confitures
Nous préservent des courbatures.

*

EN BATEAU

L'étoile du berger tremblote
Dans l'eau plus noire et le pilote
Cherche un briquet dans sa culotte

C'est l'instant, Messieurs, ou jamais
D'être audacieux, et je mets
Mes deux mains partout désormais!
...

 


Debout, le regard droit, en cheveux; et sa robe
Est longue juste assez pour qu'elle ne dérobe
Qu'à moitié sous ses plis le bout charmant
D'un pied malicieux imperceptiblement.
...

*

Oh! l'absence! le moins clément de tous les maux!
Se consoler avec des phrases avec des maux,
...

Toute grâce et toutes nuances
Dans l'éclat doux de ses seize ans
Elle a la candeur des enfances
Et les manèges innocents

Ses yeux qui sont les yeux d'un ange,
Savent pourtant, sans y penser,
Éveiller le désir étrange
D'un immatériel baiser
...
 
Un vaste et tendre
Apaisement
Semble descendre
Du firmament
Que l'astre irise...

C'est l'heure exquise.

Quel ange dur ainsi me bourre

Entre les épaules tandis

que je m'envole au paradis?

 

Fièvre adorablement maligne,

Bon délire, benoît effroi!

Je suis martyr et je suis roi,

Faucon je plane et je meurs cygne!

(Avec A.R.)

 

Briques et tuiles,

Ô les charmants

Petits asiles

Pour les amants!

 

...Gares prochaines,

Gais chemins grands...

Quelles aubaines,

Bons juifs errants

 

En bateau

L'étoile du berger tremblote
Dans l'eau plus noire et le pilote
Cherche un briquet dans sa culotte.

C'est l'instant, Messieurs, ou jamais,
D'être audacieux, et je mets
Mes deux mains partout désormais !

Le chevalier Atys, qui gratte
Sa guitare, à Chloris l'ingrate
Lance une oeillade scélérate.

L'abbé confesse bas Eglé,
Et ce vicomte déréglé
Des champs donne à son coeur la clé.

Cependant la lune se lève
Et l'esquif en sa course brève
File gaîment sur l'eau qui rêve.

Il pleut sur mon cœur
Comme il pleut sur la ville

C'est bien la pire peine
De ne savoir pourquoi
Sans amour et sans haine
Mon cœur a tant de peine

 

 

Nous errions, t'en souvient-il,
Voyageurs où ça disparu?
Filants légers dans l'air subtil
Deux spectres joyeux, on eût cru!

(Avec A.R.)

 

Tu n'es pas du tout vertueuse,
Je ne suis pas du tout jaloux :
C'est de se la couler heureuse
Encor le moyen le plus doux.

Vive l'amour et vivent nous !
 

Ayant poussé la porte étroite qui chancelle,
Je me suis promené dans le petit jardin
Qu'éclairait doucement le soleil du matin,
Pailletant chaque fleur d'une humide étincelle.

Rien n'a changé. J'ai tout revu : l'humble tonnelle
De vigne folle avec les chaises de rotin...
Même j'ai retrouvé debout la Velléda,
Dont le plâtre s'écaille au bout de l'avenue,
- Grêle, parmi l'odeur fade du réséda.


J'ai peur d'un baiser
Comme d'une abeille.
 Je souffre et je veille
Sans me reposer :
 J'ai peur d'un baiser !
La route est bonne et la mort est au bout.
 Oui, garde toute espérance surtout :
 La mort là-bas te dresse un lit de joie.

(lettre à son jeune fils)
Leurs jambes pour toutes montures,
Pour tous biens l'or de leurs regards,
Par le chemin des aventures
Ils vont haillonneux et hagards.

Le sage, indigné, les harangue ;
Le sot plaint ces fous hasardeux ;
Les enfants leur tirent la langue
Et les filles se moquent d'eux...

La nature à l'homme s'allie
Pour châtier comme il le faut
L'orgueilleuse mélancolie
Qui vous fait marcher le front haut,...

Tout vous repousse et tout vous navre,
Et quand la mort viendra pour vous,
Maigre et froide, votre cadavre
Sera dédaigné par les loups !

De la musique avant toute chose,
Et pour cela préfère l'Impair
Plus vague et plus soluble dans l'air,
Sans rien en lui qui pèse ou qui pose...

Prends l'éloquence et tords-lui son cou !
Tu feras bien, en train d'énergie,
De rendre un peu la Rime assagie.
Si l'on n'y veille, elle ira jusqu'où ?

O qui dira les torts de la Rime ?
Quel enfant sourd ou quel nègre fou
Nous a forgé ce bijou d'un sou
Qui sonne creux et faux sous la lime ?

De la musique encore et toujours !
Que ton vers soit la chose envolée
Qu'on sent qui fuit d'une âme en allée
Vers d'autres cieux à d'autres amours.

 

Les courses furent intrépides

(Comme aujourd'hui le repos pèse!)

Par les steamers et les rapides...

 

Nous allions,- vous en souvient-il,

Voyageur où ça disparu? -

Filant légers dans l'air subtil,

Deux spectres joyeux on eût cru!

 

          ... Mort, vous

Toi, dieu parmi les demi-dieux!

Ceux qui le disent son des fous.

Mort, mon grand péché radieux,

 

Quoi, le miraculeux poème

Et la toute philosophie,

Et ma patrie et ma bohème

Morts, Allons donc! tu vis ma vie !

(sur Rimbaud)

 

 

L'enterrement de Verlaine

 

Le revois-tu mon âme, ce Boul' Mich' d'autrefois

Et dont le plus beau jour fut un jour de beau froid :

 Dieu : s'ouvrit-il jamais une voie aussi pure

 Au convoi d'un grand mort suivi de miniatures ? 

 

Tous les grognards - petits - de Verlaine étaient là, 

Toussotant, Frissonnant, Glissant sur le verglas,

 Mais qui suivaient ce mort et la désespérance,

 Morte enfin, du Premier Rossignol de la France.

 

 Ou plutôt du second (François de Montcorbier, 

Voici belle lurette en fut le vrai premier) N'importe ! 

Lélian, je vous suivrai toujours ! Premier ? 

Second ? vous seul. En ce plus froid des jours.

 

Paul Fort