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Poëmes empruntés

Le temps d'apprendre à vivre, il est déjà trop tard.
Mon sombre amour d'orange amère

Qui parle de bonheur a souvent les yeux tristes...

Le ciel n'est jamais bleu comme il l'est sur les blés

 

Que ce soit dimanche ou lundi
Soir ou matin minuit midi
Dans l'enfer ou le paradis
Les amours aux amours ressemblent
C'était hier que je t'ai dit
Nous dormirons ensemble

C'était hier et c'est demain
Je n'ai plus que toi de chemin
J'ai mis mon coeur entre tes mains
Avec le tien comme il va l'amble
Tout ce qu'il a de temps humain
Nous dormirons ensemble

Mon amour ce qui fut sera
Le ciel est sur nous comme un drap
J'ai refermé sur toi mes bras
Et tant je t'aime que j'en tremble
Aussi longtemps que tu voudras
Nous dormirons ensemble

 

...Quand les blés sont sous la grêle
Fou qui fait le délicat
Fou qui songe à ses querelles
Au coeur du commun combat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas...
Un rebelle est un rebelle
Deux sanglots font un seul glas
Et quand vient l'aube cruelle
Passent de vie à trépas
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Répétant le nom de celle
Qu'aucun des deux ne trompa
Et leur sang rouge ruisselle
Même couleur même éclat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
Il coule il coule il se mêle
À la terre qu'il aima
Pour qu'à la saison nouvelle
Mûrisse un raisin muscat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n'y croyait pas
L'un court et l'autre a des ailes
De Bretagne ou du Jura
Et framboise ou mirabelle
Le grillon rechantera
Dites flûte ou violoncelle
Le double amour qui brûla
L'alouette et l'hirondelle
La rose et le réséda
Au biseau des baisers
Les ans passent trop vite
Evite évite évite
Les souvenirs brisés

*

Femmes qui connaissez enfin comme nous même
Le paradis perdu de nos bras dénoués
Entendez-vous nos voix qui murmurent Je t’aime
Et votre lèvre à l’air donne un baiser troué
(Le temps des mots croisés)
 
Bon pour le vent bon pour la nuit bon pour le froid
Bon pour la marche et bon pour la boue et pour les balles
Bon pour la légende et le chemin de croix...
(La valse des vingt ans)

*

Et l'on verra tomber du front du Fils de l'Homme
La couronne de sang symbole du malheur
Et l'homme chantera tout haut cette fois comme
Si la vie était belle et l'aubépine en fleurs
(Santa Espina)
 

Est-ce ainsi que les hommes vivent
Et leurs baisers au loin les suivent...

 

 

Rien n'est jamais acquis à l'homme. Ni sa force

Ni sa faiblesse ni son coeur. Et quand il croit
Ouvrir ses bras son ombre est celle d'une croix
Et quand il croit serrer son bonheur il le broie
Sa vie est un étrange et douloureux divorce
Il n'y a pas d'amour heureux

 



J'entends j'entends le monde est là
Il passe des gens sur la route
Plus que mon coeur je les écoute
Le monde est mal fait mon coeur las

Faute de vaillance ou d'audace
Tout va son train rien n'a changé
On s'arrange avec le danger
L'âge vient sans que rien se passe

Au printemps de quoi rêvais-tu
On prend la main de qui l'on croise
Ah mettez les mots sur l'ardoise
Compte qui peut le temps perdu

Tous ces visages ces visages
J'en ai tant vu des malheureux
Et qu'est-ce que j'ai fait fait pour eux
Sinon gaspiller mon courage

Sinon chanter chanter chanter
Pour que l'ombre se fasse humaine
Comme un dimanche à la semaine
Et l'espoir à la vérité

J'en ai tant vu qui s'en allèrent
Ils ne demandaient que du feu
Ils se contentaient de si peu
Ils avaient si peu de colère

J'entends leurs pas j'entends leurs voix
Qui disent des choses banales
Comme on en lit sur le journal
Comme on en dit le soir chez soi

Ce qu'on fait de vous hommes femmes
O pierre tendre tôt usée
Et vos apparences brisées
Vous regarder m'arrache l'âme

Les choses vont comme elles vont
De temps en temps la terre tremble
Le malheur au malheur ressemble
Il est profond profond profond

Vous voudriez au ciel bleu croire
Je le connais ce sentiment
J'y crois aussi moi par moments
Comme l'alouette au miroir

J'y crois parfois je vous l'avoue
A n'en pas croire mes oreilles
Ah je suis bien votre pareil
Ah je suis bien pareil à vous

A vous comme les grains de sable
Comme le sang toujours versé
Comme les doigts toujours blessés
Ah je suis bien votre semblable

J'aurais tant voulu vous aider
Vous qui semblez autres moi-même
Mais les mots qu'au vent noir je sème
Qui sait si vous les entendez

Tout se perd et rien ne vous touche
Ni mes paroles ni mes mains
Et vous passez votre chemin
Sans savoir ce que dit ma bouche

Votre enfer est pourtant le mien
Nous vivons sous le même règne
Et lorsque vous saignez je saigne
Et je meurs dans vos mêmes liens

Quelle heure est-il quel temps fait-il
J'aurais tant aimé cependant
Gagner pour vous pour moi perdant
Avoir été peut-être utile

C'est un rêve modeste et fou
Il aurait mieux valu le taire
Vous me mettrez avec en terre
Comme une étoile au fond d'un trou

 

Qu'importe à l'exilé que les couleurs soient fausses

On jurerait dit-il que c'est Paris...

Reverrons-nous jamais le paradis lointain

Les Halles l'Opéra la Concorde et le Louvre

Ces nuits t'en souvient-il quand la nuit nous recouvre

La nuit qui vient du cœur et n'a pas de matin

 


"Soifs de l'ouest"

Dans ce bar dont la porte
sans cesse bat au vent
une affiche écarlate
vante un autre savon
Dansez dansez ma chère
nous avons des banjos
Oh
qui me donnera seulement à mâcher
les chewing-gums inutiles
qui parfument très doucement
l'haleine des filles des villes


 J'ai tout appris de toi sur les choses humaines 

Et j'ai vu désormais le monde à ta façon...

 

L'affiche rouge

Vous n'avez réclamé ni gloire ni les larmes

Ni l'orgue ni la prière aux agonisants

Onze ans déjà que cela passe vite onze ans

Vous vous étiez servis simplement de vos armes

La mort n'éblouit pas les yeux des Partisans

 

Vous aviez vos portraits sur les murs de nos villes

Noirs de barbe et de nuit hirsutes menaçants

L'affiche qui semblait une tache de sang

Parce qu'à prononcer vos noms sont difficiles

Y cherchait un effet de peur sur les passants

 

Nul ne semblait vous voir Français de préférence

Les gens allaient sans yeux pour vous le jour durant

Mais à l'heure du couvre-feu des doigts errants

Avaient écrit sous vos photos MORTS POUR LA FRANCE

Et les mornes matins en étaient différents

 

Tout avait la couleur uniforme du givre

A la fin février pour vos derniers moments

Et c'est alors que l'un de vous dit calmement

Bonheur à tous Bonheur à ceux qui vont survivre

Je meurs sans haine en moi pour le peuple allemand

 

Adieu la peine et le plaisir Adieu les roses

Adieu la vie adieu la lumière et le vent

Marie-toi sois heureuse et pense à moi souvent

Toi qui vas demeurer dans la beauté des choses

Quand tout sera fini plus tard en Erivan

 

Un grand soleil d'hiver éclaire la colline

Que la nature est belle et que le coeur me fend

La justice viendra sur nos pas triomphants

Ma Mélinée ô mon amour mon orpheline

Et je te dis de vivre et d'avoir un enfant

 

Ils étaient vingt et trois quand les fusils fleurirent

Vingt et trois qui donnaient le coeur avant le temps

Vingt et trois étrangers et nos frères pourtant

Vingt et trois amoureux de vivre à en mourir

Vingt et trois qui criaient la France en s'abattant

 

Tu n'en reviendras pas toi qui courais les filles Jeune homme dont j'ai vu battre le cœur à nu...

 

Déjà la pierre pense où votre nom s'inscrit 

Déjà vous n'êtes plus qu'un mot d'or sur nos places 

Déjà le souvenir de vos amours s'efface 

Déjà vous n'êtes plus que pour avoir péri

 

 

Tout est affaire de décor

 Changer de lit changer de corps 

À quoi bon puisque c'est encore 

Moi qui moi-même me trahis 

Moi qui me traîne et m'éparpille

 Et mon ombre se déshabille 

Dans les bras semblables des filles 

Où j'ai cru trouver un pays

 

 

À chaque fois tout recommence 

Toute musique me saisit 

Et la plus banale romance 

M'est l'éternelle poésie

 

 

C'est miracle que d'être ensemble 

Que la lumière sur ta joue 

Qu'autour de toi le vent se joue 

Toujours si je te vois je tremble 

Comme à son premier rendez-vous 

Un jeune homme qui me ressemble

 

Un jour pourtant, un jour viendra couleur d'orange
Un jour de palme, un jour de feuillages au front
Un jour d'épaule nue où les gens s'aimeront
Un jour comme un oiseau sur la plus haute branche

 

C'est ma vie il faut bien que je la reconnaisse

C'est ma vie et c'est moi cette chanson faussée

Un beau soir l'avenir s'appelle le passé

C'est alors qu'on se tourne et qu'on voit sa jeunesse

 

Si les volcans éteints le ciel perd son éclat

Le jour n'est plus si clair la nuit n'est plus si tendre

jusqu'au dernier moment mon cœur tu peux l'entendre

C'est ma vie et ce n'est après tout que cela

 

Je ne vois pas ici vraiment ce qui te peine

Ou te donne le droit de crier dans ta nuit

Ton destin te ressemble et ton ombre te suit

Les fous ce sont cela qui pour d'autres se prennent

 

 

 

Il y a des choses qu'on fait parce qu'il faut pourtant qu'on mange

Et les soleils qu'on porte en soi comme une charrette d'oranges

Après tout je vous le concède il y a métier et métier

La littérature en est un d'étrange...

Chacun se bâtit un destin comme un tombeau sur colline

Il n'est plus de chemin privé si l'histoire un jour y chemine...

Même au dessus du cimetière il y a toujours de vastes cieux

A celui qui vit assez longtemps pour cela devant ces yeux

Il n'y a pas de malheur si grand qu'au bout du compte il n'arrive

Ce serait vivre pour bien peu s'il fallait pour soi que l'on vive

Et même pour ceux que l'on aime le mieux...

Je me souviens de nuits qui n'ont été rien d'autres que des nuits

Je me souviens de jours où rien d'important ne s'était produit...

Le bonheur extraordinaire en été d'un verre d'eau fraîche

Les Champs-Élysées un soir sous la pluie

 

Le temps n'est que longue paresse

Aux prés mouillés les soirs sont doux

Restez restez rien ne vous presse

La pluie est si belle au mos d'août

Comme il a vite entre les doigts passé

Le sable de jeunesse

Je suis comme un qui n'a fait que danser

Surpris que le jour naisse...

 

Il me reste si peu de temps

Pour aller au bout de moi-même

Et pour crier Dieu que je t'aime

Je t'aime tant, je t'aime tant

 

 

Elle n'aimait que ce qui passe et j'étais la couleur du temps

 

Mon amour j’étais dans tes bras 

Au dehors quelqu’un murmura 

Une vieille chanson de France 

Mon mal enfin s’est reconnu 

Et son refrain comme un pied nu 

Troubla l’eau verte du silence

Évite évite évite

 Les souvenirs brisés

 Au biseau des baisers

 Les ans passent trop vite

Ô mois d'août quarante-quatre

Maintenant maintenant il peut

Ce vieux coeur s'arrêter de battre

Je sais ce que c'est qu'un ciel bleu.

Rien n'est précaire comme vivre

Rien comme être n'est passager

C'est un peu fondre pour le givre

et pour le vent être léger

Quatre cents ans et je reviens leur dire
Rien n'est changé ni nos cœurs ne le sont
C'est toujours l'ombre et toujours la mal'heure
Sur les chemins déserts où nous passons
France et l'Amour les mêmes larmes pleurent
Rien ne finit jamais par des chansons

 

Avons nous perdu perdu la raison
Tout chemin dévie à l'amorce
Toute phrase est hors de saison
Et toute parole est sans force
Ainsi que font l'arbre et l'écorce
La fumée avec la maison
Le sens et la lèvre divorcent

 

 

Il fera si beau de mourir quand ce sera 

Le soir d'enfin mourir...

Un soir d'aubépines en fleurs au confins des parfums et de la nuit

Un soir si beau que je vais croire jusqu'au bout

Dormir du sommeil de tes bras

Dans le pays sans nom sans éveil et sans rêves

 

Le lieu de nous où toutes choses se dénoue

 

 

 

C'est une chose étrange à la fin que le monde

Un jour je m'en irai sans en avoir tout dit

Ces moment de bonheur ces midis d'incendie

La nuit immense et noire aux déchirures blondes

 

Rien n'est si précieux peut-être qu'on le croit

D'autres viennent Ils ont le cœur que j'ai moi-même

Ils savent toucher l'herbe et dire je vous aime

Et rêver dans le soir où s'éteignent les voix

 

C'est une chose au fond que je ne puis comprendre

Cette peur de mourir que les gens ont chez eux

Comme si ce n'était pas assez merveilleux

Que le ciel un moment nous ait paru si tendre...

 

Malgré tout je vous dis que cette vie fut telle

Qu'à qui voudra m'entendre à qui je parle ici

N'ayant plus sur la lèvre un seul mot que merci

Je dirai malgré tout que cette vie fut belle

 

+ d'Aragon