En frange les
baies
Du
sorbier saignaient;
Les
feuilles tombaient,
Lorsque
je suis née.
...La
grappe des sorbes
Arrachée
au bois
Je
voudrais y mordre
Ainsi
qu'autrefois...
***
Ah!
les vains regrets de ma terre,
M'ont
révélé tous leurs secrets!
je
suis, en tout lieu solitaire,
Peu
m'importe où je dois errer...
Ma
voix montant du fond des âges,
Tu
ne liras pas mes feuillets,
Lecteur
de pages et de pages,
Lecteur
de tonnes de papier!
...Sur une
feuille vide et lisse
Les
lieux, les noms, tous les indices,
Même
les dates disparaissent.
Mon
âme est née, où donc était-ce?
Toute
maison m'est étrangère,
Pour
moi, tous les temples sont vides,
Tout
m'est égal, me désespère,
Sauf
le sorbier d'un sol aride...
|
Les
yeux
Deux
lueurs rouges — non, des miroirs !
Non, deux ennemis !
Deux cratères séraphins.
Deux cercles noirs
Carbonisés
— fumant dans les miroirs
Glacés, sur les trottoirs,
Dans les salles infinies —
Deux cercles polaires.
Terrifiants
! Flammes et
ténèbres !
Deux trous noirs.
C'est ainsi que les gamins insomniaques
Crient dans les hôpitaux : — Maman !
Peur
et reproche, soupir et amen...
Le geste grandiose...
Sur les draps pétrifiés —
Deux gloires noires.
Alors
sachez que les fleuves
reviennent,
Que les pierres se souviennent !
Qu'encore encore ils se lèvent
Dans les rayons immenses —
Deux
soleils, deux cratères,
— Non, deux diamants !
Les miroirs du gouffre souterrain :
Deux yeux de mort.
30 juin 1921.
***
De
pierre sont les uns, d'argile d'autres sont, -
Moi je scintille, toute argentine !
Trahir est mon affaire et Marina - mon nom,
Je suis fragile écume marine.
D'argile sont les uns, les autres sont de chair -
A eux : tombes et dalles tombales !
- Baptisée dans la coupe marine - et en l'air
Sans fin brisée, je vole et m'affale.
A travers tous les coeurs, à travers tout filet
Mon caprice s'infiltre, pénètre.
De moi - ces boucles vagabondes : vise-les ! -
On ne fera pas du sel terrestre.
Contre vos genoux de granit je suis broyée
Et chaque vague - me réanime !
Vive l'écume, gloire à l'écume joyeuse,
Vive la haute écume marine !
***
Veux-tu connaître ma richesse ?
Le cheval galope,
Les morts - dorment, les oiseaux - chantent.
L'adolescent - halète et furète,
Les femmes insensées - pleurent.
Ma richesse - un présent de larmes !
***
Quatre ans.
Des yeux de glace.
Le regard - déjà funeste.
Aujourd'hui pour la première fois
Tu regardes
Sous les murs du Kremlin
Se rompre la glace.
Glace, glace,
Et coupoles
Qui tintent d'or,
Qui tintent d'argent.
Bras croisés,
Bouche muette.
Sourcils froncés - Napoléon ! -
Tu contemples le Kremlin.
- Maman, où va la glace ?
- Devant, petit cygne !
Laissant derrière les palais, les églises et les portes -
Devant, petit cygne !
L'œil
Bleu est préoccupé.
- M'aimes-tu, Marina ?
- Beaucoup !
- Pour toujours ?
- Oui.
Bientôt, le crépuscule,
Bientôt - il faut rentrer :
Toi, dans ta chambre d'enfant
Et moi, lire les lettres insolentes,
Me mordre les lèvres.
Et
La glace
Passe.
***
La lettre
On ne guette pas les lettres
Ainsi - mais la lettre.
Un lambeau de chiffon
Autour d'un ruban
De colle. Dedans - un mot.
Et le bonheur. - C'est tout.
On ne guette pas le bonheur
Ainsi - mais la fin :
Un salut militaire
Et le plomb dans le sein -
Trois balles. Les yeux sont rouges.
Que cela. - C'est tout.
Pour le bonheur - je suis vieille !
Le vent a chassé les couleurs !
Plus que le carré de la cour
Et le noir des fusils...
Pour le sommeil de mort
Personne n'est trop vieux.
***
Légère est ma démarche,
- Ma conscience est légère -
Légère est ma démarche,
Ma chanson est sonore -
Dieu m'a mise seule,
Au milieu du monde ;
- Tu n'es point femme mais oiseau,
Alors - vole et chante.
***
Le poème de la montagne
(extraits)
Dédicace
Que tu trésailles -
Et tombent des montagnes,
Et monte - l'âme !
Laisse mon chant monter :
Chant de l'entraille,
De ma montagne.
Je ne pourrai
Ni là, ni désormais
Combler l'entraille.
Laisse mon chant monter
Tout au sommet
De la montagne...
Ni erreur - que la passion, ni conte,
Et nul mentir, mais : d'un jour !
Ah ! Si nous étions venus au monde
En terrestres de l'amour !
Ah ! Si tout bonnement, d'un sens sûr :
Ca ? - colline ! Mamelon !
(A l'attrait pour le gouffre on mesure,
Dit-on, le niveau des monts.)
Dans les touffes de bruyère fauve,
Les souffrants îlots de pins...
- Prends, je suis tien !
Hélas ! La famille douce, ronde,
Les gazouillis qu'eux savourent...
Puisque nous sommes venus au monde
En célestes de l'amour !
Postface
La mémoire a des effondrements,
Les yeux sont recouverts de sept taies...
Je ne te vois pas - séparément.
Un trou blanc - à la place des traits.
Sans indices. Trou, vaste pâleur
- Que toi, tout toi ! (L'âme n'est que plaies,
Pure plaie.) C'est l'œuvre des tailleurs
De marquer les détails à la craie.
Tout le ciel d'un seul tenant s'étale.
L'océan : des gouttes le remplissent ?
Sans indices. Tout entier - spécial -
Lui ! Complice est l'amour, non police.
Pelage alezan, de moreau ?
Que le voisin le dise : il voit bien.
La passion coupe-t-elle en morceaux ?
Et moi, suis-je horloger, chirurgien ?
Tu es un cercle entier - pleinement.
Tourbillon - pleinement, bloc entier.
Je ne te vois pas séparément
De l'amour. Signe d'égalité.
(Dans les touffes de duvet, la nuit,
- Collines d'écume par rafales -
La nouveauté étrange pour l'ouïe,
Au lieu de "je" : le "nous" impérial...)
Mais dans les jours étroits, indigents
- "La vie, telle qu'elle est" - en revanche,
Je ne te vois pas conjointement
Avec aucun.
- Mémoire se venge.
***
poèmes extraits du recueil "Le ciel brûle (suivi de tentative de
jalousie)"
éditions poésie/Gallimard
Tsvetaeva-Pasternark
courriers du coeur
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