Choses vues en Haute-Provence

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Transhumance en Provence

En voyant tous ces groupes de touristes dociles et compacts, 
encadrés et gardés par des guides, on imagine qu’il y a 50 ans, ces même guides, 
souvent gars du pays, auraient été des bergers. 
Il n’y a presque plus de moutons et de plus en plus de touristes. 
Ils mènent donc leur troupeau humain avec la même passion*. 
A la prochaine génération, ils transmettront à leurs enfants, non pas la connaissance 
et l’amour des bêtes, mais celles des touristes... Le métier demande à peu prés 
les mêmes qualités… les troupeaux sont aussi très semblables : choisir un meneur ou 
une meneuse, les autres suivent ; bien surveiller les petits, on est responsable… 
On s’attache bien-sûr, mais à la fin il faut s’en séparer… 
Tout ça ne dure que l’été, comme les transhumances. 
Certains bergers, ce sont les derniers, alternent encore les deux activités… 
ils ont du mal à lâcher les grands espaces les chèvres et les brebis… 
mais les touristes sont si bêêêêêles.

   *Foucault appelait ça: "la relation pastorale" qui peut se transposer 
      à bien d'autres structures organisées...


Touristes en Provence
retrouvant dans les lavandes
 l’odeur des WC

*

Marché de Provence
 tous ses corps de femmes fraîches
tous ces parfums


Transhumance II

 

Pour tout dire, la transhumance fait partie des rares visions 
(avec certains couchers de soleil, le vol des migrateurs, le visage des êtres aimés...) 
qui me bouleversent (chair de poule et frissons garantis !). 
Chaque fois, de moins en moins, que j’en croise une 
(surtout quand c’est dans un lieu perdu et non dans une fête organisée) 
je me remémore les origines de cette aventure pourtant immémoriale.
Les premières transhumances étaient le fait d’animaux sauvages qui suivaient 
l’évolution de la végétation et qui ont créé les premières traces naturelles, 
ancêtres des drailles ; les hommes n’ont fait que suivre… et les femmes aussi... 
ma mère et... ma belle-mère « gardaient » les chèvres…
Cet automne, en montant sur un sommet nous avons croisé un énorme troupeau 
qui redescendait « à pattes » dans la plaine (ce sont de plus en plus souvent 
des camions qui les transportent) ; arrivés au sommet (le Teillon, 1700m.) se trouvaient 
deux fières brebis (à contre-jour sur le sommet dans le soleil ) qui devaient elles 
aussi aimer la solitude et, se trouvant à l’écart des autres, avaient été oubliées; 
vu la situation, personne ne reviendra les chercher (plus souvent ce sont 
les chèvres que l'on "oublient"). 
Elles ne se sont pas laissées approcher et, des loups étant présents dans ces territoires, leur avenir nous a semblé incertain… 
comme le nôtre d’ailleurs et celui de la transhumance.   
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Transhumance III


  En relisant ces histoires de transhumance, me revient en mémoire une autre émotion
 qui pourrait bien expliquer les précédentes. C'était en 1977 ou 78 à Paris; à cette époque existait un projet d'extension du camp militaire du Larzac; une longue lutte opposait le pouvoir (Giscard d'Estaing) à toute la mouvance libertaire issue 
de mai 68 et bien au-delà de toute la gauche, sans oublier... les paysans, principaux concernés. L'issue était incertaine (l'immense camp militaire de Canjuers, 
en Haute-Provence, avait été imposé peu de temps auparavant 
dans l'indifférence générale (sauf Giono presque seul)).
   Le candidat Mitterrand avait inclus l'abandon de ce projet dans ses engagements symboliques avec quelques autres dont l'abolition de la peine de mort 
entre autres (au fait, quelles sont les promesses symboliques des candidats actuels?!). 
    Bref, au plus fort de l'affrontement, il fut organisé une marche 
des bergers du Larzac sur Paris; travaillant à l'époque à Paris nous suivions 
de très prés ces événements concernant notre région et la progression de 
cette marche. 
    Le jour de leur arrivée sur Paris, nous étions parmi la foule qui les attendait 
sur un boulevard (?) au sud de Paris ; à coté de nous, Glusckmann
(jeune lui aussi!); beaucoup de CRS également. 
Tout à coup, sur cet immense boulevard complètement dégagé et légèrement 
bombé vers le fond, apparaissent, comme filmées au téléobjectif et émergeant 
de la chaussée, les têtes des bergers avec bérets et barbes... ensuite, rapidement, 
le film du souvenir continue avec les corps vêtus de veste en peau de mouton,
 puis les têtes des bêtes avec les premières cornes, les plus grandes, 
celles des béliers et le reste du troupeau... voilà... après tout va trop vite, 
la foule, les CRS et surtout j'ai oublié...  je ne me souviens que de cette 
apparition lumineuse dans le lointain... j'en ai encore la chair de poule...

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Transhumance sur la route du plan de Canjuers avant Comps (Var); 
regardez les bien (+ de 1000!) car c'est sûrement les derniers... à pattes (mai 2006).


Circonstances

 C'était une très vieille bastide provençale, isolée sur une proéminence, 
déserte depuis cent ans. Lorsqu’ils l’ont vu pour la première fois, ils ont été saisis
 par la paix et le silence du lieu, la beauté simple et l’harmonie de sa construction. 
Le pigeonnier et le cadran solaire fonctionnaient encore…
Ils l’ont tout de suite adoptée… Ils avaient trouvé un toit… elle une famille…
L'intégrité et la profondeur du décor sont restées les mêmes, sans limites:
des montagnes claires, des murs de pierre, des bois de chênes et de pins
et le ciel pur comme au jour de sa construction.


Connaissance

Des pierres froides pour des murs presque sans fondations, mais si épais
que les saisons et les tremblements de terre les font à peine frissonner ;
un crépi des origines, couleur de pierre, de toutes les pierres,
les dissimulent comme il peut… seules quelques ouvertures ont été
soulignées par un appareillage aristocratique de blocs taillés.
Autour, des murs pour soutenir les terrasses permettant de cultiver les pentes. 
Des murets pour border les chemins, sans raison, sans nécessité, parce que 
les paysans avaient des pierres à foison, qu'ils sortaient de terre pour pouvoir labourer; parce que les Provençaux aiment bâtir. Parfois même, des sortes de pyramides 
avec les pierres dont on ne savait plus quoi faire… et devenues à présent 
d'énigmatiques tumulus pour les découvreurs sans mémoire. Des pans de pierre de 
tous côtés qui se confondent avec les rochers. Mais les résineux peu à peu 
modifient ce paysage qui n’avait pas changé depuis des siècles..
Les bois de chênes et quelques érables prennent, en automne, la couleur 
des tuiles de Provence à perte de vue.. Le ciel est partout, où qu'on regarde, 
en tournant, en se retournant, parce que sur ces Hautes Terres 
les montagnes gardent leurs distances pour préserver l'horizon. 

Le bonheur peut-il s’acheter ou se rencontrer virtuellement sur des écrans... 
Celui-là vient d'abord, me semble-t-il, naturellement, de ce ciel 
sans limites  et vivant. Mais il ne tombe pas du ciel ! 
Ce plateau solitaire, ce lieu de bonheur possible, a été cherché et trouvé  
après la guerre… la seconde, symboliquement, puisque la première avait été 
la cause principale de sa désertification.


Renaissance

En effectuant la montée vers la bastide, on perçoit, de loin, l’équilibre et 
la pérennité qui s’en dégage. On tourne autour d’elle, on voit 
qu’elle a vécu et ne cache pas son age… elle inspire respect et bienveillance. 
Ensuite, on regarde longuement ses cicatrices, ses murs irréguliers et 
ses tours singulières, ses tuiles nées ici et ses volets bleus clair comme l'immensité 
qu’ils imitent. On commence à comprendre qu’un bonheur peut naître ici, 
si loin de tout (... puisqu’il y est déjà née il y a presque cinquante ans). 
C’est ce que je perçois quand je reviens ici, aussi fort chaque fois,
 un peu moins étonné mais plus tranquille, assuré, parce que je sais 
qu'il ne vient pas que de moi mais de ce lieu immuable et simple.
Seuls ont changé des coins de paysage, parce que les arbres grandissent, 
surtout les pins colonisateurs que l’on doit couper pour donner de l’air 
aux chênes, aux chevaux et au regard. 
Sur les crêtes du Réglés qui bordent l’horizon au couchant, le soleil, lorsque 
les nuages veulent bien l’accompagner, conclut la journée par une surenchère 
de couleurs en éventail, du carmin au bleu sombre presque noir.
 Cela fait tant de temps que nous voyons ce spectacle… même scène, 
même décor... et jamais le même tableau. 
Il sera là quand nous n’y serons plus. Une sérénité, un sentiment d'éternité 
vous prennent après quelques heures ici. 
C'est le commencement d'un monde....


Présence 

Lorsque nous revenons, à chaque saison, beaucoup de choses ont changé, 
les couleurs et les odeurs, le marronnier et les chants d’oiseaux ; 
mais ces petits détails différents du paysage n’affectent pas l'ensemble, 
la lumière, l'harmonie. Et la bastide, les ruines, le chemin restent les mêmes. 
Sous quelque angle que nous les regardons, en montant la pente raide ou de loin 
en bas, au fond du vallon ils s’inscrivent et se confondent dans ce paysage 
comme s’ils avaient été créés en même temps que les pierres et les montagnes. 
Ils nous donnent à chaque fois un sourire intérieur de bonheur.
 Au début du siècle, les jeunes paysans ont abandonné les Hautes Terres. 
Savaient-ils le bonheur qu'ils quittaient ? Je pense que oui, car les haut-provençaux 
sont fiers de leurs paysages, de leur ciel, de leurs pigeonniers. 
Quelques-uns avaient dû apprendre des anciens qu'une beauté pure 
dans une vaste harmonie est un bonheur en soi.
Mais les colporteurs leur racontaient le Nouveau Monde. Ils étaient jeunes. 
Ils s'ennuyaient de leur pauvreté dure et heureuse. 
Peut-être le bonheur finit-il par lasser s'il est là toujours le même. 
Peut-être ne le voit-on pas quand il vous  a été donné depuis qu'on est enfant.
 Peut-être n'y a-t-il de bonheur que voulu et conquis. 
Ils sont partis en chercher un autre.
Mais d’autres sont remontés qui cherchaient aussi. 
Ils ont trouvé cette maison sans père… et l’histoire peut recommencer...


Reconnaissance

Pour une maison, comme pour un enfant, le fait d’être né de parents inconnus 
n’empêche pas une vie longue et riche. Les parents adoptifs et 
tout l’entourage sont aussi importants. Cela n’exclue pas qu’un jour 
on veuille connaître ses origines pour encore mieux structurer son avenir. 
A présent et quelles que soient les réponses du passé, 
c’est ceux qui s’occupent d’elle maintenant et dans le futur 
qui détermineront son avenir... et inversement...


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Reconnaissance

Présence 

Renaissance

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Circonstances

Transhumance