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- Volume 20

Etude critique: Conte de fées et bibliothèques choisies (1690-1810)

 

Auteur : Muriel Brot, chargée de recherche an C.N.R.S., UMR 8599 (Paris IV-Sorbonne) / C.E.L.L.F. 17e -18e siècles

La naissance du conte de fées français et l’essor de la presse périodique sont des événements contemporains de la fin du XVIIe siècle. Initialement indépendants l’un de l’autre, les deux phénomènes vont très vite se croiser et se renforcer. Le conte de fées s’affiche dans la presse, la presse se nourrit du conte de fées, et l’alliance est des plus pérennes à en juger par la place importante que lui font les grands périodiques des XVIIe et XVIIIe siècles.

Si la seule promotion de la presse périodique ne fit pas toute la fortune des contes de fées – leur force étant la seule véritable cause de leur succès – on ne peut exclure qu’elle ait contribué à les faire connaître, comme y contribua aussi la publication intégrale ou partielle de contes de fées dans les grandes collections romanesques du XVIIIe siècle, telles que la Bibliothèque bleue, les Bibliothèques de campagne, la Bibliothèque universelle des romans et d’autres collections que cette rapide présentation ne peut toutes mentionner. Ces collections sont en effet si nombreuses dès le début du XVIIIe siècle que l’abbé Lenglet-Dufresnoy, lui-même auteur d’une Bibliothèque des romans, déclare en 1734 que le siècle a " le goût des Bibliothèques ". Et ce n’est encore que le début d’une mode qui va s’amplifier. Faute de pouvoir écrire des chefs-d’œuvre, les compilateurs veulent guider le lecteur dans le choix de ses lectures, veulent composer (et imposer) la bibliothèque idéale du XVIIIe siècle. On verra qu’ils n’oublient pas " ces frivoles & méprisables écrits " que sont les contes de fées, qu’ils jurent souvent d’exclure " ces puérilités " et qu’ils y reviennent toujours. Philosophes et antiphilosophes, pour une fois d’accord, pestent contre la vitalité d’un genre qui se rit de leurs condamnations, comme s’ils ignoraient qu’en matière de promotion la critique vaut mieux que le silence, comme s’ils espéraient réguler la production et la consommation des contes de fées.

Mais ce rejet global ne dure qu’un temps. Le siècle avance, les collections succèdent aux collections, et les termes de la critique évoluent car les compilateurs savent bien que pour plaire et se vendre leurs collections doivent présenter ce qui plaît. Quand ils comprennent qu’une critique excessive et radicale est inopérante, quand ils admettent que le conte de fées a le succès d’un grand genre littéraire, les compilateurs renoncent à la critique de goût (et de dégoût) et ne parlent plus du conte de fées qu’avec les catégories esthétiques et les questionnements critiques traditionnels. Ainsi l’étude de la réception du conte de fées dans les bibliothèques choisies du XVIIIe siècle permet-elle de faire l’histoire de la promotion critique d’un genre littéraire qu’on voulait mineur, d’un genre qui s’est imposé en deçà de la critique.