bouton_presentation_bgf.gif (3236 octets)

- Volume 15 -

Mme de Villeneuve
et Mme Leprince de Beaumont

- Volume 15 -

Mme de Villeneuve et Mme Leprince de Beaumont, "La Belle et la Bête" et autres contes

 

Corpus :

- Gabrielle-Susanne Barbot de Villeneuve,

  1. La Jeune Américaine et les Contes marins (1740-1741), contenant un récit-cadre (La Jeune Américaine) et trois contes: La Belle et la Bête (volume 26 du Cabinet des Fées de 1786) , Les

    Naïades, [Le Temps et la Patience] (aucune reprise dans le Cabinet des Fées)

  2. Les Belles Solitaires (1745), contenant un récit-cadre (Les Belles Solitaires) et trois contes: Papa Joli, Mirliton ou La Prison volontaire, Le roi Santon (aucune reprise dans le Cabinet des Fées)

- Jeanne-Marie Leprince de Beaumont, Magasin des enfants (1756), contenant La Belle et la Bête et plusieurs autres contes (volume 35 du Cabinet des Fées de 1786 pour une dizaine d’entre eux, sans reprise de La Belle et la Bête).

Éditeur : Élisa Biancardi, Maître de Conférences à l’Université de Pavie (Italie)


Les années 1740 et 1756 virent paraître les deux premières versions littéraires du conte intitulé La Belle et la Bête, un des plus goûtés de la tradition féerique occidentale. Suggestive reprise du motif folklorique de l’"époux monstrueux", le récit publié par Mme de Villeneuve dans La Jeune Américaine et les Contes marins fut, une quinzaine d’années plus tard, considérablement remanié par Mme Leprince de Beaumont qui, sans songer à citer sa source, se l’appropria pour son Magasin des enfants. Son adaptation, écourtée, simplifiée et édulcorée mais toujours captivante, finit par s’imposer tant en France qu’à l’étranger, effaçant ainsi la mémoire du modèle original. Depuis lors, la version si populaire de Mme Leprince de Beaumont, sans cesse proposée selon des modalités différentes et venue en quelque sorte s’intégrer au patrimoine de l’imaginaire collectif, a paradoxalement éclipsé à son tour la renommée de son propre auteur et le reste de son oeuvre.

La curieuse destinée littéraire de ces deux narratrices que l’éclat de La Belle et la Bête a, en définitive, contribué à rejeter dans l’ombre, rend particulièrement utile aujourd’hui la réédition de leurs recueils féeriques respectifs : dans le cas de Mme de Villeneuve, dont la plupart des contes n’ont jamais fait l’objet de réimpressions modernes, il s’agit de ramener concrètement à la lumière, par une sorte d’opération archéologique, une production enfouie sous une chape d’oubli et qui mérite d’être appréciée à sa juste valeur. Dans le cas de Mme Leprince de Beaumont, encore largement méconnue, republier le Magasin des enfants signifie entre autres choses signaler l’intérêt de tous les contes qui y sont insérés et, plus généralement, attirer l’attention sur un ouvrage qui, en dépit du charme désuet qu’il exerce de nos jours, apparaît d’une surprenante modernité dès qu’on le replace dans le contexte littéraire de son époque.

De ce point de vue, on ne saurait trop souligner le contraste révélateur qui oppose les recueils, presque contemporains, de ces deux femmes de lettres: alors que Mme Leprince de Beaumont, en avance sur son temps, nous plonge déjà dans l’atmosphère du siècle suivant, les compositions de Mme de Villeneuve, fidèles à la tradition précédente, nous ramènent directement au cœur du Grand Siècle, à la période de formation de cette esthétique " galante " qui a favorisé plus tard l’épanouissement des contes de fées à la française.

En effet, Gabrielle-Susanne Barbot de Villeneuve (1685 - 1755) — à laquelle on a parfois attribué une liaison avec Crébillon fils, tandis que c’est significativement dans la société de Crébillon père qu’elle a longtemps vécu en partageant ses goûts et son singulier mode de vie —, se signale par des narrations féeriques volontiers diffuses et complexifiées par l’insertion de récits secondaires ou d’histoires rétrospectives. Du point de vue thématique, le triomphe de l’amour idéalisé qui s’y célèbre (et qui ne se manifeste pas, lui, sans ambiguïtés) est souvent accompagné d’enseignements moraux de bon aloi qui confirment une fois de plus la dette de Mme de Villeneuve à l’égard des modèles narratifs antérieurs.

Si celle-ci réussit presque toujours à sauvegarder la gratuité ludique du merveilleux, il n’en va pas de même pour l’autre auteur, dont la visée ouvertement didactique et moralisatrice tend à prendre le pas sur le déploiement de la fantaisie féerique. D’ailleurs, Jeanne-Marie Leprince de Beaumont (1711 – 1780 ?), éducatrice de profession installée à Londres de 1748 à 1763, ne s’est jamais départie, dans sa production de polygraphe, des exigences dictées par son action et sa pensée pédagogiques. Ses contes de fées, enchâssés dans cette sorte d’encyclopédie de connaissances à l’usage des plus jeunes qu’est le Magasin des enfants, reflètent donc ces objectifs généraux. Pourtant, c’est justement cette dominante didactique — que le climat socioculturel anglais n’a pas manqué d’aiguiser —, qui finit par inscrire sa production sous le signe de la modernité: cette dominante en effet annonce, d’un côté, la direction délibérément pédagogique que prendra le genre des contes de fées au cours du siècle suivant; de l’autre, elle impose à son écriture une simplification narrative et stylistique, source chez elle d’une remarquable élégance esthétique, qui achève de renouveler ses contes, anticipant sur les temps nouveaux qui se préparent.