Corpus : Tecserion (1737), La Princesse Camion, La Princesse Couleur-de-rose et le prince Céladon, La Princesse Lionnette et le prince Coquerico, La Princesse Sensible et le prince Typhon, Le Prince Glacé et la princesse Étincelante (1743), La Princesse Coque-duf et le prince Bonbon (1745), La Veillée galante (1747), Blancherose (1751), Peau dours, Étoilette (1753), Histoire secrète du prince CroquÉtron et de la princesse Foirette.
Auteur : Aurélie Zygel-Basso, professeur agrégée de Lettres classiques au Lycée français de Budapest.
Parce qu« Il y a de la sagesse à tirer du plaisir de la folie », selon laxiome de Mademoiselle de Lubert dans la préface de Tecserion...
Une conteuse presque fantôme, dont on ne connaît les dates de naissance ni de mort avec certitude ; une biographie qui laisse peu de traces : la piste de Mlle de Lubert, fille de magistrat, est difficile à suivre.
Ses contes, en revanche, attirent à eux par le foisonnement offert au lecteur. Mlle de Lubert, une « fanatique de la féerie », selon le mot de Raymonde Robert, hérita de ce goût passionné pour les domaines du merveilleux, et entraîne le lecteur, dans ses contes les plus achevés, vers un tourbillon où le plaisir du méandre est encore supérieur à celui du « il était une fois ».
Dans les années 1730 et surtout 1740-1750, alors que le conte merveilleux sépuise et que la vague des contes licencieux et parodiques déferle, notre demoiselle sentête à suivre la trace d'un « âge d'or » du conte partout dénoncé comme ridicule (bien que cette dénonciation même soit profondément ambiguë) et à donner dans le sérieux après que ce dernier a été maintes fois détoumé. Ainsi sa production surgit à la fin de la mode du conte de fées tel quon le conçoit depuis les années 1690.
On y voit alors apparaître les figures hybrides chères à Mlle de Lubert, animaux ou personnages proches du bestiaire (la fée Léoparde , dont on ne sait jamais si l'amour ou la haine la dominent, la guenon Transparente, qui explique doctement que les hommes désirent être trompés, le brutal Merluche qui met en avant un désir explicite), dont le trait dominant est cette satire au sens latin du terme, mélange qui sort des sentiers battus du récit féerique pour centrer l'intérêt du lecteur sur lespace trouble où évoluent les monstres. Les éléments habituellement dévolus à des catégories précises de personnages se brouillent, et les créatures fantastiques sortent de leur rôle.
Pris au coeur dune histoire parfois pleine dhumour qui souvent tourne mal, le lecteur se retrouve englué dans un système où la relation avec le narrateur est annulée. Cette circulation de la parole qui crée ordinairement lhumour et/ou lémerveillement laisse place à un texte-objet. La figure de la suivante Bonbec et du déversement verbal qui l'accompagne est ainsi centrale, au même titre que l'insistance de Mlle de Lubert sur l'impossibilité de décrire certaines situations : débordement ou impuissance seraient ici deux volets dun rapport unique, à lier sans doute à la présence obsédante dans deux de nos contes des aliments et du registre scatologique.
Quant à ses sources d'inspiration, on trouve chez elle une prédilection pour les écrits de Mme d'Aulnoy, Mme de Lintot et de Mme de Murat, dont elle rééditera un choix de textes. Ces modèles sont présents dans La princesse Camion (où l'auteur a presque entièrement repris le canevas de Tendrebrun et Constance, de la deuxième conteuse : héroïne miniaturisée, amour pour une écrevisse, etc.), La princesse Couleur de rose et le prince Céladon (une variation sur LAstrée et surtout sur le thème du travesti exploité par Mme d'Aulnoy avec plus de bonheur) et trois autres textes, somme toute assez traditionnels malgré la richesse d'invention dont Mlle de Lubert fait preuve dans le renouvellement des détails.
Au contraire, La princesse Coquedoeuf et le prince Bonbon, lHistoire secrète du prince CroquÉtron et de la princesse Foirette, Le prince Glacé et la princesse Étincelante et La princesse Sensible et le prince Typhon participent d'une même veine, qui traite des sources tout aussi présentes que dans les autres contes, mais en les mettant au service d'un détournement en-deçà (ou au-delà ?) de la parodie : la corrosion du modèle nous est apparue ici comme un processus unique. Il sagit sans doute ici du trait le plus caractéristique de cet auteur, qui fait preuve en ce sens d'une originalité souvent étrange.
En outre, ces contes semblent sortir du cadre du conte de fées au sens strict du terme, ce qui paraît pour le moins surprenant chez un écrivain officiellement aussi épris de féerie, et nous donne à penser que ses rapports avec les conteurs de la première vague (la fin du XVIIe siècle) sont bien plus ambigus qu'il ny paraît.
Le conte de Coqueduf et Bonbon, en particulier, tranche avec la tonalité « plane », sans distance, des textes précédents. Mlle de Lubert sy révèle plus complètement quelle ne la jamais fait et donne alors libre cours à une forme desprit violent dont lironie caustique étonne. Devant ce conte lon est saisi par la verve et le fourmillement du récit protéiforme. Cest l'occasion dun important renouvellement, sinon dans le style, du moins dans lutilisation de certains procédés, qui met en lumière un moment charnière entre la période des « contes sérieux » et celle de La veillée galante de 1747 ; comme un adieu à la production de contes.
Suite de divertissements pseudo-paysans, La veillée galante est en effet écrite avec la même application que les contes qui appartiennent explicitement au registre féerique. On pense à La princesse Camion, La princesse Couleur de rose et le prince Céladon, La princesse Lionnette et le prince Coquerico, ainsi que Tecserion, conte des débuts, particulièrement débordant de ce « bric-à-brac » magique sorti tout droit du magasin des accessoires d'un opéra fantaisiste.