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- Volume 16 -

Hamilton, Rousseau, Pajon, Cazotte, Diderot, Tessin

Éditeurs: Jean-François Perrin, Professeur à l'Université Grenoble 3. Anne Defrance, Maître de conférences à l'Université Bordeaux 3.

Antoine Hamilton: Le Bélier, Histoire de Fleur d'épine, Les Quatre Facardins (1ère éd., 1730); La Pyramide et le cheval d'or, Zéneyde, (Ière éd., 1731); L'Enchanteur Faustus (1ère éd., 1776).

Le comte Antoine Hamilton (1646-1720) est un aristocrate écossais très familier de la langue et de la culture françaises, qu'il a connues dès son enfance, lors d'un exil de près de dix ans (1651-1661) consécutif à la première révolution anglaise; il reviendra servir dans les armées de Louis XIV entre 1664 et 1677, et résidera définitivement en France à partir de 1695, auprès de Jacques II d'Angleterre exilé au château de Saint-Germain en Laye, après sa destitution en 1688. La renommée du comte, à Saint-Germain et dans les petites cours littéraires du temps, est celle d'un excellent poète, qu'on compare à Voiture et qu'admire le jeune Voltaire. L'atmosphère d'austérité dévote qui règne à la cour de Jacques II ne convient guère à l'auteur des fort lestes Mémoires du comte de Grammont (son beau-frère); pour se désennuyer, il écrit une série de contes dédicacés à quelques jeunes demoiselles de l'aristocratie anglaise, avec lesquelles il entretient par ailleurs une correspondance ironiquement romanesque. Il écrit cela au moment où la mode des contes de fées initiée par les Modernes est relayée par la vogue des Mille et une Nuits traduites par Antoine Galland. L'approche du genre développée par Hamilton est d'emblée explicitement parodique et satirique; il s'agit de dynamiter le " fatras " du conte merveilleux - tout particulièrement sa variante orientale, en poussant au comble ses logiques paradoxales et ses artifices, en déconstruisant ses procédés narratifs, en exhibant son non-dit, notamment érotique, tout cela avec une élégance désinvolte et cultivée qui réinvente presque le genre; Crébillon s'en souviendra pour l'imiter dans ses propres contes, mais aussi Voisenon et quelques autres jusqu'à Beaumarchais.

Quoique ces écrits ne fussent aucunement destinés à l'impression (la plupart sont d'ailleurs inachevés), Le Bélier, L'Histoire de Fleur d'épine et Les Quatre Facardins, (qui circulaient en manuscrits) sont publiés en 1730, dix ans après la mort du comte, par le libraire parisien J.-F. Josse. Le succès est tel qu'ils sont réimprimés l'année suivante par le même éditeur, en compagnie d'autres oeuvres en vers et en prose, parmi lesquelles deux contes inachevés: La Pyramide et le cheval d'or, (fragment d'épopée burlesque en vers) et Zéneyde (parodie de nouvelle historique). Au fil des rééditions qui jalonnent le XVIIIe siècle, apparaît en 1776 le dernier conte connu du corpus hamiltonien: L'enchanteur Faustus. Le Cabinet des fées retiendra seulement la trilogie initiale de 1730, publiée au tome XX, tandis que le " Discours sur l'origine des contes de fées " ouvrant le tome XXXVII de la collection rend un hommage appuyé au comte, avec un extrait de la dédicace des Facardins valant introduction à l'esprit de la collection. On continue à lire et republier les contes d'Hamilton au XIXe siècle, quelques plumes s'exerçant même à boucler les intrigues laissées en suspens des Facardins et de Zéneyde. Après une période d'oubli au siècle suivant, la remise en lecture de cette oeuvre s'inscrit dans l'actuel mouvement de réévaluation de la portée littéraire du conte merveilleux de l'âge classique.

Jean-François Perrin

Jean-Jacques Rousseau: La Reine Fantasque (1ère éd.,1758), éd. de référence corrigée par Rousseau,1769.

On ne présente pas Jean-Jacques Rousseau. Sa Reine Fantasque, conte rédigé à Paris entre 1755 et 1756 (soit à l'époque de la publication du Discours sur l'origine de l'inégalité), fut d'abord publié clandestinement en 1758, probablement à son insu, affublé de la qualification de " conte cacouac " (c'est-à-dire philosophique), l'année même de la fameuse Lettre à M. d'Alembert sur les spectacles qui signait sa rupture avec Diderot et les Encyclopédistes. Il s'agit d'un conte " à contrainte " comme il s'en rédigeait dans le groupe de Mlle Quinault où Rousseau avait été introduit par Duclos. L'Avertissement de l'édition de 1769 indique en effet qu'il s'agissait de composer un conte " supportable et même gai, sans intrigue, sans amour, sans mariage et sans polissonnerie " - autrement dit d'écrire un conte post-crébillonnien sans libertinage. On vérifiera si le résultat est à la mesure du défi, en n'oubliant pas le caractère intrinsèquement politique, ici comme ailleurs, de l'intervention de Rousseau dans la littérature de son temps.

Jean-François Perrin

Henri Pajon, Histoire du Prince Soly, surnommé Prenany, et de la Princesse Fêlée (1ère éd. 1740, éd. de référence).

Avocat au parlement, Pajon publia divers écrits juridiques, un roman et plusieurs contes qui lui valurent un certain succès. Il collabora au Mercure (1744-1746) sous le pseudonyme de M. Jacques, marchand éventailliste. Le Cabinet des fées de 1786 (vol. 34) n’a retenu qu’un choix de trois contes publiés dans le Mercure (1744-1745). L’éditeur y justifie le rejet des deux longs premiers contes de Pajon, l’Histoire du Prince Soly et l’Histoire du Roi Splendide et de la Princesse Hétéroclite (1747), par le fait que les ouvrages contiennent " des tableaux trop libres et une critique trop amère de quelques personnages du temps. " Le premier, que nous éditons dans ce volume, est un roman d’aventures merveilleuses. Il connut deux rééditions en 1743 et 1744. En 1788, l’éditeur Garnier l’inséra dans sa collection des Voyages imaginaire, […], songes, visions et romans cabalistiques, dans la division des " Voyages imaginaires merveilleux " (tome 25) L’ouvrage, introduit par l’auteur en une préface qui situe implicitement l’ouvrage dans le champ de la parodie, est plein de fantaisie et de dérision. Il contient de nombreuses attaques contre les mœurs parisiennes et la suprématie des femmes, des allusions moqueuses aux spectacles et aux ouvrages du temps. Dans un passage étonnamment moderne, l’auteur va jusqu’à imaginer une rencontre entre son héros et l’auteur : le premier, peu satisfait des qualités dont le second l’a pourvu, se plaint de l’étroitesse de son génie.

Anne Defrance

Le comte de Tessin, Faunillane ou l’Infante jaune (1741) - Charles Duclos, Acajou et Zirphile (éd. originale, 1744 - texte de référence : 2e édition corrigée de 1744).

C’est au cours de l’un de ses séjours en France que Tessin, fils d’un architecte des bâtiments royaux de Suède, ambassadeur chargé d’une mission extraordinaire à Paris de 1739 à 1742, amateur d’art et de culture française, commande au peintre Boucher - à qui il voue une grande admiration - un ensemble de dix estampes gravées par Chaudel pour illustrer un conte de fées de sa composition : Faunillane ou l’Infante jaune (1741). La même année, Charles Duclos (1704-1772), associé à l’Académie des Belles-Lettres depuis 1738, ami de Caylus et imitateur de Crébillon-fils, à ses débuts, connaît la célébrité avec ses Confessions du Comte de …. En 1743, il travaille à l’Histoire de Louis XI et s’amuse, parallèlement, à écrire un conte de fées totalement différent de celui de Tessin à partir des mêmes planches gravées : ce sera Acajou et Zirphile,et il sera publié anonymement. Dans une " épitre au public ", l’auteur dit être tombé par hasard sur des estampes qui ont servi à illustrer un conte et s’être amusé à en " deviner l’histoire " : ce qu’il ne dit pas, c’est qu’il relève un défi lancé par le libraire Prault, soucieux de rentabiliser les gravures. À ce jeu, on dit que Caylus et Voisenon se sont essayé, de leur côté, mais c’est Duclos qui a remporté le concours, en produisant une fiction tout autre que celle de son prédécesseur. Le conte-gageure, selon le mot de Raymonde Robert, a pris ici la forme du rébus. Duclos assume son texte doublement parodique (parodie de Faunillane, parodie du genre) comme pure sottise, ineptie revendiquée haut et fort. Il lui vaudra une répartie cinglante de Fréron (Réponse du public à l’auteur d’Acajou) que nous présenterons en annexe. Elle attaque avec virulence ses facilités, ses " pillages ", ses " ridicules imaginations ", certaine incohérence du récit, que Duclos corrigera dans la seconde édition.

Anne Defrance

Jacques Cazotte, La Patte du Chat, conte Zinzimois (1741), Les Mille et Une Fadaises, contes à dormir debout (1742), Le Plaisir, conte moral (1776), Aventure du Pèlerin (1776), L’honneur perdu et recouvré en partie et revanche, ou Rien de fait, nouvelle héroïque (1788), La Belle par Accident., conte de fées (1788). L’éd. de référence est celle, corrigée, des Œuvres badines et morales de 1788.

L’ensemble de ces textes (qui ne sont pas tous des contes de fées) donne une idée assez précise de la disparité de l’inspiration de Cazotte (1719-1792). C’est au tout début de sa vie littéraire que le jeune homme, provincial fraîchement arrivé à Paris pour y achever des études de droit, écrit les deux premiers contes, qui passent pour " badinages superficiels " mais sont révélateurs d’un talent précoce (Georges Décote). Ils visent à ridiculiser gentiment la féerie traditionnelle. On y relève, de ce fait, bon nombre d’emprunts aux conteurs de la fin du siècle précédent, et parallèlement l’auteur fait usage de quelques procédés et motifs propres aux contes orientaux (Les Mille et une nuits). Dans La Patte du chat, Il prend ses distances avec ces modèles en recourant à des titres nettement dépréciatifs, comme l’avait fait peu avant lui Crébillon dans Tanzaï et Néadarné ou dans Le Sopha. Un titre tel que les Mille et une fadaises raille ouvertement les auteurs qui s’inscrivirent dans le sillage de Galland. Le topos inaugural des Mille et une Nuits y est plaisamment subverti, puisqu’il ne s’agit plus ici de tenir éveillé un auditeur par des contes, mais de guérir une mondaine insomniaque. C’est à un ennuyeux abbé de cour qu’est dévolu ce rôle.

Le Plaisir et l’Aventure du Pèlerin sont de courts opuscules qui avaient au départ été publiés à la suite d’Ollivier, poème ; l’auteur les en a plus tard détachés. Les autres textes que nous présentons ici sont composés bien plus tardivement, après la publication du Diable Amoureux qui fit la célébrité de Cazotte.

L’honneur perdu et recouvré tranche nettement avec ses premiers contes parodiques : cette nouvelle, comme Ollivier, s’inscrit dans la tradition troubadour.

Enfin, le héros de La Belle par accident, nouveau Don Quichotte, est un prince nourri et bercé de contes de fées (le texte renoue avec le motif de l’endormissement par les contes). Le personnage prend tout ce qu’il rencontre pour des objets ou des personnages féeriques, ce qui lui vaut quelques cuisantes désillusions.

Anne Defrance

Denis Diderot, L’Oiseau blanc, conte bleu (1777-1778). Ed. de référence : copie Girbal de Leningrad, 1780-1784.

A peine deux ans après la publication des Bijoux indiscrets (1748), Diderot donne une suite au roman en composant ce " conte bleu " qui ne paraîtra qu’en 1777-1778 dans la Correspondance littéraire. Son auteur le désavoue, prétendant qu’il est de la plume de Mme de Puisieux. Il s’inspire de Cazotte et de Crébillon quant au motif du conte soporifique, des Mille et Une Nuits pour la technique des récits emboîtés et les personnages orientaux : ce sont les mêmes que dans Les Bijoux indiscrets, mais le conte est moins grivois. L’auteur s’y livre en revanche à une très audacieuse satire des pratiques cléricales et des dogmes catholiques : le Saint-Esprit y apparaît sous la forme d’un pigeon libertin qui féconde les vierges sacrées.

Anne Defrance