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- Volume 9

Les contes merveilleux de Thomas-Simon Gueulette-

 

La production merveilleuse et orientalisante de Th.-S. Gueullette n'a pas été rééditée dans son intégralité depuis le Cabinet des fées de 1786 (qui omet d'ailleurs les Contes Péruviens). À l'époque moderne, elle n'a pas été reprise dans l'anthologie du Nouveau Cabinet des Fées chez Slatkine (1978) ; seuls sont actuellement disponibles les Contes Tartares, republiés en 2 vol. avec une brève annotation, par Elizabeth Lemirre, au t. 4 du Cabinet des Fées, éd. Ph. Picquier, Arles, 1994 (rééd. 2000). Ce volume constituera donc la première édition critique intégrale des contes merveilleux de Gueullette.

Recueils publiés dans ce volume :

- Les Soirées Bretonnes, 1712 (éd. de référence).

- Les Mille et un quarts d'heure, Contes Tartares, 1715. Éd. de référence : 1753 (le recueil s'est considérablement augmenté au fil des rééditions).

- Les Aventures merveilleuses du Mandarin Fum-Hoam, Contes Chinois, 1723. Éd. de référence : 1728.

- Les Sultanes de Guzarate ou les songes des hommes éveillés, Contes Mogols, 1732. Éd. de référence : 1765 (sous le seul titre de Contes Mogols).

- Les Mille et une heures, Contes Péruviens, 1733 (sans doute apocryphe). Éd. de référence : 1759 (achevée par Gueullette, augmentée de 7 histoires nouvelles).

Équipe éditoriale : Jean-François Perrin (U. Grenoble 3), responsable du volume ; Christelle Bahier-Porte (U. Saint-Étienne) ; Marie-Françoise Bosquet (U. La Réunion) ; Catherine Langle (U. Grenoble 3) ; Carmen Ramirez (U. Séville).

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Thomas-Simon Gueullette (1683-1766), magistrat parisien et littérateur en divers genres, est un représentant typique de la bourgeoisie éclairée du XVIIIe siècle français. Marié, sans enfants (il perd sa femme en 1758), catholique modéré, serviteur parfois critique de la monarchie, exerçant une charge exigeante de substitut du Procureur du Roi au Châtelet de Paris, il consacre ses loisirs aux Belles-Lettres : théâtre, édition, contes. Pour les Italiens (c'est un ami des Riccoboni et ses notes serviront à l'Histoire de l'ancien théâtre italien (1753) des frères Parfait), il traduit quelques pièces : La Vie est un songe, Griselde, etc.; il possède lui-même une scène privée, écrit pour la Foire comédies et parades (genre où il passe pour maître), et fréquente des littérateurs comme Collé, Favart, Panard, peut-être Marivaux. Il s'occupe également d'édition : les Contes et Fables indiennes de Bidpaï, traduits du turc par A. Galland (1724), Le Petit Jehan de Saintré, le Nouveau Pathelin, un Rabelais annoté en 6 vol., une traduction du Roland furieux, et des romans plus récents comme L'Infortuné napolitain ou les Divertissements de la princesse Aurélie de Segrais. Il a laissé un roman : les Mémoires de Mlle Bontemps ou de la comtesse de Marlou (1738), et on lui attribue (en concurrence avec Caylus) un conte licencieux : Nocrion, Conte allobroge (1747). Il a enfin accumulé une considérable documentation sur les procès criminels en France (conservée aux Archives Nationales), en vue d'un travail historique pour lequel le temps lui a manqué.

Pour ses contemporains, Gueullette est surtout un bon conteur d'histoires orientales : Lenglet-Dufresnoy place les Contes Tartares, Mogols et Chinois, immédiatement après les Contes arabes (les Mille et Une Nuits) et les Contes persans, (les Mille et Un Jours) dans sa fameuse Bibliothèque des Romans (1734). En 1712, peu après ses Soirées bretonnes (tentative sans lendemain dans le genre féerique), Gueullette publie ses Mille et un quarts d'heure (sic), alors que la vogue des contes orientaux relaie celle des contes de fées; leur succès lui crée une notoriété attestée par de nombreuses rééditions et traductions dans les principales langues européennes (ses productions ultérieures sont également rapidement traduites). Cette audience sera durable : presque toute sa production " merveilleuse " est reprise dans le Cabinet des Fées, et les orientalistes érudits jusqu'à V. Chauvin au début du XXe siècle, citent encore ses contes avec précision. À la différence des inventeurs du genre néanmoins, Gueullette n'a aucune connaissance des langues orientales, et ses contes font feu de tout bois : fabliaux, exempla, recueils de contes italiens (Boccace, Straparole), recueils de nouvelles, mais aussi récits de voyages, ouvrages de géographie et d'histoire, Bibliothèque Orientale de d'Herbelot, traductions disponibles à la Bibliothèque du Roi, etc. Pour colorer sa matière, il s'inspire adroitement du style créé par Galland, appuyant toutefois sur l'exotisme, et imitant Pétis ou Bignon (Les Aventures d'Abdalla, 1712-1714) dans la pratique de la note informative et/ou pseudo-érudite en bas de page (topos du genre au XVIIIe siècle).

Stylistiquement, il se distingue d'abord par sa maîtrise des combinaisons narratives : soignant l'invention de ses récits-cadres, ainsi que leur dialogisme (fort négligé de ses prédécesseurs, Galland compris), il pratique l'enchâssement intradiégétique à plusieurs niveaux, veillant à la cohérence et au bon enchaînement des cycles emboîtés. C'est aussi un maître du montage de sources prélevées sur tous les rayons de la Bibliothèque : de Lucrèce au Coran, de Straparole à d'Herbelot, de Béroalde de Verville à Chardin, etc., il relève, collige et réécrit dans un style homogène une documentation disparate accréditant ses climats et son propos ; se dégage ainsi une poétique baroque (ou rococo) très maîtrisée, voire parfois virtuose, de la construction narrative et du montage intertextuel. Son ton singulier tient également à de forts jeux de contrastes entre climats burlesques proches de la farce ou du théâtre de Foire, et tonalités plus sombres, issues du drame ou de l'Histoire tragique : incestes, parricides, meurtres sanglants, sorcellerie noire, etc. Les goûts de l'amateur de théâtre et ceux du conteur se rejoignent ici pour produire un style narratif original mêlant les traditions romanesques et scéniques européennes aux climats et styles plus exotiques mis à la mode par la nouvelle matière d'Orient. La phrase simple et précise, la qualité des descriptions et des portraits, l'art des dialogues vifs, une certaine sorte d'humour aussi qui introduit des effets de distanciation, justifient pleinement une édition critique de cette oeuvre, dont on verra enfin qu'elle n'est étrangère dans son propos ni à l'ouverture critique de son siècle, ni d'ailleurs à certains de ses préjugés.

Jean-François Perrin