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- Volume 5 -

De la comédie à la critique

 

Corpus : divers textes critiques traitant du conte de fées

Auteur : Julie Boch, Maître de conférences à l’Université de Reims

 

La mode des contes de fées en France à la fin du XVIIe siècle suscita un discours critique contradictoire : aux attaques auxquelles se livrèrent, sous forme de lettres ou d’entretiens, les théoriciens ennemis des extravagances de la fiction, les auteurs incriminés répondirent par des préfaces, des épîtres ou des dialogues qui défendaient le genre nouveau. Entre 1690 et 1709 furent ainsi publiés plusieurs textes théoriques, dont les arguments opposés révèlent cependant des questionnements et des préoccupations identiques. Que l’on condamne la puérilité de ce " sous-genre ", comme l’abbé de Villiers, Faydit ou Morvan de Bellegarde, ou que l’on en célèbre au contraire le charme et la dignité, comme le font Perrault, Mme Durand ou Mlle Lhéritier, l’on s’interroge toujours sur les mêmes matières : quelle est l’origine des contes ? possèdent-ils une valeur morale ? le merveilleux qui s’y manifeste a-t-il partie liée avec celui de la fable antique ? représentent-ils un genre original ou ne sont-ils qu’un avatar du genre romanesque ? enfin, sont-ils une expression littéraire mineure ou peuvent-ils revendiquer une place honorable dans la hiérarchie des genres ?

À ces questions, les détracteurs des contes répondent avec la condescendance due à une forme assimilée aux récits populaires dont on amuse les gens simples et les enfants. Apparentés aux histoires de nourrices, chargés d’un merveilleux qui outrepasse l’invraisemblance tolérée dans les romans, réduits au mieux à de plaisantes curiosités, au pire à de vaines puérilités, les contes ne peuvent prétendre à un statut littéraire à part entière, relégués qu’ils sont dans la catégorie méprisable de la littérature populaire.

Face à ce discrédit, les défenseurs des contes de fées déployèrent des arguments qui empruntaient aussi bien à la morale qu’à l’histoire, à l’esthétique ou aux codes de la mondanité. Justifiant le plaisir de la lecture par l’utilité morale, ils firent valoir les virtualités pédagogiques d’un genre qui s’accordait du reste parfaitement avec l’esprit de salon, qui privilégiait proverbes et formes brèves. Quant à l’indignité d’un genre prétendument issu des récits populaires, il la récusèrent en redorant la généalogie des contes, que certains faisaient descendre des poèmes chantés devant les nobles par les troubadours du Moyen Âge, et que d’autres rapprochaient des romans héroïques et galants à la mode chez les mondains du début du siècle. Enfin, il n’est pas jusqu’au style même des contes de fées qui ne fût défendu, au nom d’une esthétique toute classique qui prônait la simplicité et l’art difficile de cacher la virtuosité sous les apparences de la naïveté.

L’intérêt critique que suscita la production des conteurs atteste finalement la victoire de ces derniers sur leurs adversaires, dans la mesure où leurs œuvres furent élevées à la dignité d’un sujet d’études et de polémiques, qui ne faisait que confirmer l’extraordinaire engouement dont elles furent l’objet dans les années 1690.

En somme, le débat théorique qui eut lieu au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles autour du conte de fées dépasse les circonstances qui le firent naître – la mode qui s’empara de la France de cette époque – et révèle, plus largement, la richesse et l’intensité de la réflexion littéraire et morale à la fin de la période classique.