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- Volume 5 -

De la comédie à la critique

 

Corpus :
Charles-Rivière Dufresny et Claude-Ignace Brugière de Barante, Les Fées ou les contes de ma mère l'oie.
Florent Carton Dancourt, Les Fées.
Le Chevalier de la Baume, La Fée Bienfaisante.

Auteur : Nathalie Rizzoni

Jouées respectivement en 1697 sur le théâtre des Comédiens Italiens pour la première, en 1699 à la Cour de Fontainebleau puis au Théâtre Français pour la seconde et, pour la troisième, en 1708 sur un théâtre de fortune à Grenoble, les comédies Les Fées ou Les Contes de Ma Mère l’Oie de Dufresny et Brugière de Barante, Les Fées de Dancourt et La Fée Bienfaisante, attribuée à un certain Chevalier de La Baume, s’inscrivent au cœur d’une actualité dramatique foisonnante en cette fin de XVIIe et en ce début de XVIIIe siècles.

Réunies pour la première fois dans un volume qui en propose une édition critique, ces trois pièces témoignent diversement de la vogue des contes de fées en France, vogue dont le point d’orgue est, en 1697, l’édition du recueil de Contes de Charles Perrault.

Les pièces de Dufresny et Barante d’une part, celle de Dancourt d’autre part, sont-elles, comme leur titre le laisse supposer, des versions dramatisées du conte de Perrault intitulé Les Fées ? Aucunement. Ni l’une ni l’autre ne puise à cette source pourtant toute désignée et, malgré quelque ressemblance avec le conte de Madame d'Aulnoy La Biche au bois (conte alors inédit mais vraisemblablement connu par la tradition orale avant son édition), leur imprégnation " féerique " est loin d’être exclusive.

La comédie donnée chez les Italiens porte manifestement la marque d’un opéra créé quelques mois plus tôt à l’Académie royale de Musique, Méduse, sur un livret de l’abbé Boyer et une musique de Gervais. Les Italiens sont coutumiers de ces emprunts au répertoire lyrique agrémenté à leur sauce satirique, pour le plus grand plaisir du public.

La comédie jouée au Théâtre Français présente, de son côté, des résonances multiples avec Les Aventures de Télémaque de Fénelon dont le manuscrit avait circulé avec bruit bien avant sa publication en avril 1699. Dans la lignée du précepteur des fils du Grand Dauphin, Dancourt, le dramaturge comédien, investit curieusement son ouvrage de vertus pédagogiques propres à séduire l’auditoire de la Cour de Fontainebleau, au nombre duquel figurent justement le soir de la première représentation Monseigneur et ses fils.

Si la comédie de Dufresny et Barante manifeste avec bonheur une invention débridée et loufoque qu’autorise le merveilleux, celle de Dancourt exploite, sagement au premier abord, les effets d’une mode littéraire. Mais à y regarder de plus près, sa pièce comporte quelques singularités dignes d’attention.

Plus tardive, la comédie La Fée Bienfaisante jouée à Grenoble par la troupe de l’Opéra de Lyon affiche, quant à elle, dès les premières répliques, sa parenté avec le roman de Lesage Le Diable boiteux, dont le succès, depuis sa publication un an auparavant (en 1707), alimente la chronique littéraire parisienne. Le chevalier de La Baume, signataire de l’épître dédicatoire qui accompagne cette petite œuvre brochée à la hâte, et publiée sous l’anonymat, en est-il réellement l’auteur ? Aucune source locale ne l’atteste, mais nos recherches nous laissent penser que, à l’instar de la comédie Les Plaisirs de la Tronche jouée à Grenoble trois ans plus tard (en 1711), et attribuée jusqu’à ce jour à un certain Ch. De La B. (en fait notre Chevalier de La Baume et non le " Chevalier de La Barre " à tort signalé par les bibliographes jusqu’à présent), La Fée Bienfaisante est l’œuvre d’un dramaturge chevronné qui aurait, dans cette hypothèse, prêté sa plume à un aristocrate grenoblois désireux d’offrir, sous son nom, un divertissement à son cercle. L’écrivain Nicolas Barbier, bien connu du public lyonnais et du public dauphinois, pourrait ainsi être l’auteur de La Fée Bienfaisante, tandis que la pièce Les Plaisirs de La Tronche, à forte coloration " italienne ", pourrait revenir à Pierre-François Biancolelli, dramaturge, lui-même comédien et chef de la troupe qui l’a interprétée à Grenoble. Bien que les enjeux de La Fée Bienfaisante ne dépassent guère l’étroite communauté provinciale devant laquelle elle a été représentée, sa facture et son intrigue dégagent un charme indéniable, qui opère par-delà les siècles.

Il n’est pas interdit au lecteur de ces trois pièces, dont seule la trace écrite perdure, de prendre encore du plaisir à les découvrir. À charge pour lui d’imaginer de quels effets spectaculaires de mise en scène, de quels costumes aussi fantaisistes que somptueux, et de quels décors enchanteurs elles ont tour à tour été parées pour fasciner un public qui, encore tout ébaubi par les descriptions féeriques dont l’avaient régalé Madame d’Aulnoye et Charles Perrault, était prêt à se laisser bercer par les plus stupéfiantes chimères dramatiques.