- Volume 8 -
Jean-Paul Bignon, Les Aventures
d'Abdalla
Abbé Jean-Paul Bignon, Les Aventures dAbdalla, Première
édition 1712, volumes 12 et 13 du Cabinet des Fées.
Éditeur : Raymonde Robert, professeur émérite à
lUniversité Nancy 2.
Quoique le grand public ignore son nom, labbé Bignon (1662-1743)
fut une personnalité tout à fait remarquable du monde religieux, scientifique et
littéraire de son temps. Reçu à lAcadémie Française en même temps que La
Bruyère, prédicateur du roi, il préside en 1712 le bureau des affaires
ecclésiastiques. Directeur de la Librairie et chef de la censure de 1700 à 1714, il
réorganise le système du dépôt légal. Dès 1696, il se voit confier la direction des
académies du royaume. Très actif à lAcadémie des sciences, il envoie de
nombreuses missions scientifiques à létranger, en particulier en Russie. Il appuie
les missions de Tournefort et de Réaumur ; la plante que nous connaissons sous le
nom de " bignonia " a été ainsi nommée en hommage à labbé
Bignon.
Cest ce très sérieux personnage qui feint de traduire, sous le
pseudonyme de M. de Sandisson, un prétendu manuscrit trouvé à Batavia et attribué à
un Arabe, Abdalla, fils dHanif.
La rédaction et la publication des Aventures dAbdalla par
une personnalité comme labbé Bignon ne peuvent être appréciées quen
prenant en compte trois éléments contextuels :
- Dabord lintérêt pour la civilisation orientale suscité, en 1704, par la
publication des premiers volumes de la traduction des Mille et Une Nuits. Dans son Avertissement,
Galland justifiait sa démarche en évoquant lintérêt des informations fournies
aux lecteurs sur " les coutumes et les murs des Orientaux " par
des textes bien plus agréables à lire que les récits de voyages. Cest cette piste
que labbé Bignon emprunte : il multiplie les explications de tous ordres,
linguistiques, historiques, religieuses, etc., dans le récit lui-même ou dans des notes
infra-paginales ; il met en scène plusieurs moments pittoresques de cette vie
exotique (la récolte de lambre gris, par exemple) ; il multiplie les épisodes
qui illustrent les coutumes orientales (théatres itinérants, fêtes villageoises, etc.).
- Mais en même temps et paradoxalement, les Aventures dAbdalla
sinscrivent dans le goût que toute lépoque manifestera, depuis la fin du
siècle précédent, pour les récits merveilleux, contes de fées à la française ou
récits de type oriental. Le texte de labbé Bignon offre ainsi un mélange
intéressant des deux pratiques. Labbé puise certains sujets dans le répertoire
populaire (contes types 425, 566, 569) et les retranscrit dans le contexte oriental.
- Les deux éléments contextuels qui viennent dêtre évoqués ne sont pas propres
à labbé Bignon, ils caractérisent toute la production de récits merveilleux
orientalisants de l'époque. En revanche, le texte de labbé ne peut être
pleinement apprécié que par rapport à un autre aspect qui, lui, est essentiel : la
position des théologiens catholiques de lépoque par rapport aux religions
orientales et païennes (un document est éclairant à cet égard : la lettre écrite
à labbé Bignon par le père Bouvet). Cest dans ce contexte quon peut
comprendre le paradoxe qui marque les Aventures dAbdalla : un membre
éminent du clergé français samusant à faire parler un Musulman qui raconte les
aventures merveilleuses qui lui sont arrivées.