Frederico Garcia Lorca

La soleá

Vêtue de voiles noirs,
elle pense que le monde est bien petit
et le cœur immense
Vêtue de voiles noirs.
Elle pense que le tendre soupir,
le cri, disparaissent
au fil du vent.
Vêtue de voiles noirs.
Elle avait laissé sa fenêtre ouverte
et à l'aube par la fenêtre
tout le ciel a débouché.
Ah!
Vêtue de voiles noirs!

Mort de la peterena

Dans la maison blanche se meurt
la perdition des hommes.
Cent pouliches caracolent
Leurs cavaliers sont morts.
Et sous la palpitante
constellation des lampes,
tremble sa jupe moirée
entre ses cuisses de bronze.
Cent pouliches caracolent.
Leurs cavaliers sont morts.
De longues ombres affilées
viennent du trouble horizon
et le bourdon d'une guitare
se rompt.
Cent pouliches caracolent.
Leurs cavaliers sont morts.



El crimen fue en Granada
A Federico Garcia Lorca

Se le vio, caminando entre fusiles
por una calle larga,
salir al campo frio,
aun con estrellas, de la madrugada.

Mataron a Federico
cuando la luz asomaba.
El peloton de verdugos
no oso mirarle a la cara.
Todos cerraron los ojos ;
rezaron : ni Dios te salva !

Muerto cayo Federico
sangre en la frente y plomo en las entranas
que fue en Granada el crimen
sabed - pobre Granada ! - en su Granada !

Se les vio caminar...
Labrad, amigos,
de piedra y sueno, en el Alhambra,
un tumulo al poeta,
sobre una fuente donde llora el agua,
y eternamente diga :
el crimen fué en Granada ! en su Granada !

Antonio MACHADO

Amparo (Dos muchachas)

Amparo,
Que tu es seule dans ta maison!
Vêtue de blanc!

(Équateur entre le jasmín et le nard!)
Écoute les merveilleux
Sons de ton patio,
La faible trille jaune
Du canari.

Le soir tu vois trembler
Les cyprès avec les oiseaux,
Tandis que tu brodes lentement
Des lettres sur le canevas.

Amparo,
Que tu es seule dans ta maison!
Vêtue de blanc!

Amparo,
Et qu'il est difficile de te dire
Je t'aime!


Le passage de la siguriya

Parmi les papillons noirs
avance une fille brune
à côté d'un blanc serpent
de brouillard.
Terre de Lumière,
Ciel de terre.
Enchaînée au tremblement
d'un rythme qui jamais n'arrive,
un poignard à la main droite,
elle avance, coeur d'argent.
Où vas-tu, siguiriya,
avec ce rythme sans tête?
Quelle lune recueillera
ta douleur de laurier-rose et de chaux?
Terre de Lumière,
Ciel de terre.

Romancero Gitano

 L'HOMME BRISÉ

Le vingt-cinq du mois de Juin,
on vint prévenir Amargo ;
Tu peux couper, si tu veux,
les lauriers-blancs de ta cour.
Peins une croix sur ta porte
et mets au-dessous ton nom,
car la ciguë et I'ortie
naîtront bientôt de tes flancs
et des pointes de chaux vive
déchireront tes souliers.
Ce sera dans la nuit noire,
parmi les monts aimantés
où les bœufs de la rivière
boivent des joncs dans leur rêve.
Commande lampes et cloches.
Apprends à croiser les mains
et ä goûter les vents froids
des métaux et des rochers,
Car tu seras dans deux mois
raide mort et enterré.

Une épée de nébuleuse
s'élève au poing de Saint-Jacques
et des flancs du ciel cambré
ruisselle un silence grave.

Le vingt-cinq du mois de Juin
il avait les yeux ouverts
et le vingt-cinq du mois d'Août
il gisait pour les fermer.


ANTONIO TORRES HEREDIA I
(La Prise)

Antonio Torres Hereidia
fils et neveu des Camborios
badine d'osier en main
va vers Séville aux taureaux.
Le teint brun de verte lune
il avance grave et beau.
Ses cheveux lustrés en boucles
reluisent entre ses yeux.
A mi-chemin il s'arrête
pour tailler les clairs citrons
qu'il lance à foison dans l'onde
à la rendre toute d'or.
Et c'est à la mi-chemin
sous le feuillage d'un orme
que les gendarmes des routes
l'entraînent vers la prison.



ANTONIO TORRES HEREDIA II
(La Mort)

Des voix de mort résonnèrent
au bord du Guadalquivir
des voix anciennes qui cernent
une voix d'œillet viril.
Il plantait à leurs bottines
des crocs de vrai sanglier.
Dans la mêlée il faisait
des sauts de dauphin huilés.
Il baigna de sang adverse
sa cravate cramoisie
mais devant quatre poignards
à la fin il dut fléchir.

Antonio Torres Heredia
Camborio de toison riche
au teint brun de verte lune
à la voix d'œillet viril

Ah Antonio el Camborio
digne d'une impératrice !
Rappelle-toi à la Vierge
car bientôt tu vas mourir.

Frappé de trois coups de sang
il succomba de profil
vive monnaie qui jamais
ne sera plus reproduite.
Un ange glorieux pose
sa tête sur un coussin.
D'autres aux rougeurs fanées
lui ont allumé un cierge.


 MORT D'AMOUR

Qu'est-ce qui brille là-bas
dans les profonds corridors ?
Ferme la porte mon fils.
Entends-tu ? Onze heures sonnent.
Dans mes yeux sans le vouloir
je vois luire quatre lampes.
Sans doute chez les voisins
c'est du cuivre que I'on frotte.

Façades de chaux la nuit
se taillait en carrés blancs,
Séraphins et bohémiens
jouaient de l'accordéon.
Mère lorsque je mourrai
il faudra l'apprendre aux gens
par des télégrammes bleus
qui volent du Sud au Nord.

Aux brusques rumeurs du bois
le vent secouait ses portes
tandis que clamaient les lueurs
dans les profonds corridors.


 LA NONNE GITANE

Silence de chaux et de myrte.
Mauves dans les herbes fines.
Elle orne de giroflées
brodées sa toile jonquille.

Mais sur sa toile jonquille
la nonne aimerait broder
des fleurs de sa fantaisie.
Quels soleils ! Quels magnolias
de rubans, de pierreries !
Quels safrans et quelles lunes
sur la nappe de l'Office !
Dans la cuisine prochaine
cinq oranges se confisent
les cinq blessures du Christ
ouvertes en Almérie.
Dans les yeux de la brodeuse
vont deux cavaliers agiles.

Oh quelles plaines debout
sous vingt soleils qui scintillent !
Quelles rivières dressées
entrevoit sa fantaisie !

 LE VENT ET LA BELLE
(Précieuse et le vent)


De sa lune en parchemin,
par un hybride sentier
de lauriers et de cristal,
Précieuse s'en vient jouer.

De sa lune en parchemin
Précieuse s'en vient jouer.
A sa vue le vent se lève,
car jamais il ne sommeille.

Dis, laisse-moi relever
ta robe pour voir ton corps.
Ouvre entre mes doigts anciens
la rose bleue de ton ventre.

Lâchant son tambour, Précieuse
prend la fuite à toutes jambes.
Le vent mâle la poursuit.
Avec une épée brûlante.

Précieuse, cours vite, vite.
Le vent va t'attraper !
Précieuse, cours vite, vite,
Regarde-le arriver,
Satyre d'étoile basses
aux mille langues lustrées !

Précieuse, morte de peur,
est allée se réfugier,
au-dessus de la pinède,

Et tandis qu'elle raconte
son aventure en pleurant,
le vent sur le toit d'ardoises
plante, furieux, les dents.


LA SOLEDAD

Les pics sonores des coqs
creusent pour chercher l'aurore
quand de la colline sombre
descend Soledad Montoya.
Cuivre jaune tout son corps
fleure la cavale et l'ombre.
Enclumes noircies ses seins
gémissent des chansons rondes.
Soledad qui cherches-tu
solitaire au point de l'aube ?
Que je cherche qui je cherche
dis-moi si cela t'importe !
Je cours après un seul but
mon bonheur et ma raison.

Soledad quelle pitié !
Quelle peine désolante !

Quelle peine ! Je parcours
ma maison comme une folle
mes cheveux traînant par terre
de la cuisine à l'alcôve !

Dans la source aux alouettes
Soledad lave ton corps
et puis laisse reposer
ton cœur Soledad Montoya.

O la peine des gitans !
Peine pure et solitaire.
Peine de rive secrète
et de matinée lointaine !

Romance somnambule

Vert et je te veux vert.
Vent vert. Vertes branches.
Le bateau sur la mer,
le cheval dans la montagne.
L'ombre autour de la ceinture,
elle rêve à son balcon,
chair verte, verts cheveux
avec des yeux d'argent froid.
Vert et je te veux vert.
Dessous la lune gitane,
toutes les choses la regardent
mais elle ne peut pas les voir.


Vert et je te veux vert.
De grandes étoiles de givre
suivent le poisson de l'ombre
qui trace à l'aube son chemin.
Le figuier frotte le vent
à la grille de ses branches
et la montagne, chat rôdeur,
hérisse ses durs agaves.
Mais qui peut venir? Et par où?
Elle est là sur son balcon,
chair verte, cheveux verts,
rêvant à la mer amère.


L'ami, je voudrais changer
mon cheval pour ta maison,
mon harnais pour ton miroir,
mon couteau pour ta couverture.
L'ami, voilà que je saigne
depuis les cols de Cabra.
Si je le pouvais, petit,
l'affaire serait déjà faite.
Mais moi je ne suis plus moi
et ma maison n'est plus la mienne.


L'ami, je voudrais mourir dans
mon lit, comme tout le monde.
Un lit d'acier, si possible,
avec des draps de hollande.
Vois-tu cette plaie qui va
de ma poitrine à ma gorge?
Il y a trois cents roses brunes
sur le blanc de ta chemise.
Ton sang fume goutte à goutte
aux flanelles de ta ceinture.
Mais moi je ne suis plus moi et
ma maison n'est plus la mienne.
Laissez-moi monter au moins
jusqu'aux balustrades hautes.
De grâce, laissez-moi monter
jusqu'aux vertes balustrades.
Jusqu'aux balcons de la lune
là-bas où résonne l'eau.


Ils montent déjà, tous les deux,
vers les balustrades hautes.
Laissant un sentier de sang.
Laissant un sentier de larmes.
Sur les toitures tremblaient
des lanternes de fer-blanc.
Mille tambourins de verre
déchiraient le petit jour.


Vert et je te veux vert,
vent vert, vertes branches.
Ils ont monté, tous les deux.
Le vent laissait dans la bouche
un étrange goût de fiel,
de basilic et de menthe.
L'ami, dis-moi, où est-elle?
Où est-elle, ta fille amère?
Que de fois elle t'attendait!
Que de fois elle a pu t'attendre,
frais visage, cheveux noirs,
à la balustrade verte!


Sur le ciel de la citerne
la gitane se berçait.
Chair verte, cheveux verts
avec ses yeux d'argent froid.
Un petit glaçon de lune
la soutient par-dessus l'eau.
La nuit devint toute menue,
intime comme une place.
Des gardes civils ivres morts
donnaient des coups dans la porte.
Vert et je te veux vert.
Vent vert. Vertes branches.
Le bateau sur la mer,
le cheval dans la montagne.

Le coup de corne et la mort

A mi querida amiga Encarnación López Júlvez


A cinq heures du soir.
Il était juste cinq heures du soir.
Un enfant apporta le blanc linceul
à cinq heures du soir.
Le panier de chaux déjà prêt
à cinq heures du soir.
Et le reste n'était que mort, rien que mort
à cinq heures du soir.


Le vent chassa la charpie
à cinq heures du soir.
Et l'oxyde sema cristal et nickel
à cinq heures du soir.
Déjà luttent la colombe et le léopard
à cinq heures du soir.
Et la cuisse avec la corne désolée
à cinq heures du soir.
Le glas commença à sonner
à cinq heures du soir.
Les cloches d'arsenic et la fumée
à cinq heures du soir.
Dans les recoins, des groupes de silence
à cinq heures du soir.
Et le taureau seul, le cœur offert!
A cinq heures du soir.
Quand vint la sueur de neige
à cinq heures du soir,
quand l'arène se couvrit d'iode
à cinq heures du soir,
la mort déposa ses oeufs dans la blessure
à cinq heures du soir.
A cinq heures du soir.
Juste à cinq heures du soir.


Un cercueil à roues pour couche
à cinq heures du soir.
Flûtes et ossements sonnent à ses oreilles
à cinq heures du soir.
Déjà le taureau mugissait contre son front
à cinq heures du soir.
La chambre s'irisait d'agonie
à cinq heures du soir.
Déjà au loin s'approche la gangrène
à cinq heures du soir.
Trompe d'iris sur l'aine qui verdit
à cinq heures du soir.
Les plaies brûlaient comme des soleils
à cinq heures du soir,
et la foule brisait les fenêtres
à cinq heures du soir.
A cinq heures du soir.
Aïe, quelles terribles cinq heures du soir!
Il était cinq heures à toutes les horloges.
Il était cinq heures à l'ombre du soir