LAURE N°120 de 1981  

L'oiseau rare de la chanson

CAROLINE VERDI

Comme on le sait, la piraterie industrialisée des cassettes pose d'énormes problèmes financiers et autres aux grande ( et aux petites !) compagnies d'enregistrement. C'est l'une des raisons pour lesquelles elles investissent moins sur des noms nouveaux et qu'elles ont plutôt tendance à jouer la carte de la vedette confirmée. Des nouveaux venus, il y en a, pourtant. Et des jeunes, comme Anne Lorric, Jean-Francois Doll, Yves Deroubaix, Amélie Morin... et Caroline Verdi.
Ils n'en ont que plus de mérite car les barrages sont plus sévères. Les firmes ne veulent plus miser qu'à coup sûr... ou presque, la certitude commerciale en matière artistique demeurant fort heureusement illusoire : c'est toujours le public qui décide, rejette ou choisit. Caroline Verdi fait donc partie de ces jeunes qui osent se lancer dans cette voie difficile (oh! oui !!! ) qu'est la chanson. Caroline Verdi, c'est un drôle d'oiseau !
Avec un physique de teenager garanti grand teint (petite, blonde, menue, un nez "où c'qu'il pleut dedans", bref: vingt et un printemps qui en paraissent seize !), elle pratique un art de vivre qui ne doit rien aux gadgets à la mode ou aux ukases imposés par les champions du terrorisme intellectuel, moral ou circonstanciel. Elle annonce la couleur avec la tranquillité de ceux qui préfèrent et vénèrent la vérité. Ainsi... Si vous appartenez à la race des militants de la libération tous azimuths (qu'elle soit de la femme, du fox à poils durs ou de la punaise des bois), vous trouverez bien en face de vous ce poids coq prônant les mérites de la fidélité et, ce qui est encore plus rare, pratiquant la fidélité ! Ainsi, elle a le même producteur (Jack Bancarel) depuis ses débuts, Caroline Verdi... Si vous avez fait de l'exhibitionnisme votre règle d'or, elle vous répondra pudeur et tendresse (ce qui est sensible dans sa manière de dessiner, voyez nos illustrations...). Si, pour faire croire que vous êtes dans le coup, vous immolez vos premières idoles au bûcher de la nouveauté, elle posera sur sa platine, d'une manière très relax en se disant "Cause toujours, tu m'intéresses !" les galettes de vinyle des Beatles, Elton John, Jacques Brel, Johnny Hallyday, Stevie Wonder, Trust, Barbra Streisand... Et la discussion sera close.

Une enfance chaotique

En bon Capricorne, elle n'hésite pas à donner des coups de tête, à foncer... Tous ceux qui l'ont vue sur scène ont été surpris par son punch et son savoir-faire. Qu'elle chante pour un public debout ou assis ne transforme en rien sa rage de vaincre et de convaincre. Cette force, plutôt surprenante quand on considère ce drôle d'oiseau qu'estCaroline Verdi, elle l'a puisée dans une enfance chaotique couleur béton, dans le quotidien d'une romantique au pays de la violence, dans le mépris de tout ce qui est artifices, hypocrisie, racolage. A l'époque du "Pétrodollar, priez pour nous !", Caroline Verdi considère l'argent comme un moyen et non comme un maître à penser ou à compenser, dans notre univers de poésie en forme de bulles. Elle ne fait aucun mystère de son manque de goût pour la bande dessinée, la course à la fiction et à la science du même nom qui ne la concerne pas: elle aime le réalisme (Zola, Malraux, la peinture figurative...)... Elle le dit et elle défend ses idées... Et puis elle chante... Son 45 tours paru au début de l'été comprend deux chansons et, oh ! surprise ! on découvre grâce à elles non seulement un talent frais et généreux mais encore une chanteuse qui sait articuler et rendre intelligible ce qu'elle prononce. C'est plus rare qu'on ne croit. Ecoutez donc la double face de Caroline Verdi dans Un biberon de rock'n'roll,et Apprends-moi le bonheur, (Philips 6010331).
Vous voyez bien que Caroline Verdi est un drôle d'oiseau. C'est même un oiseau rare !

article signé Claude Sapin; les photos sont de Claude Delorme et J.Lebreton pour Phonogram