Sabine Sicaud,  née en 1913, morte en 1928 d'une maladie des os 
 dans de cruelles souffrances, était poète. 
 Elle aurait plus de 90 ans, elle n'en a eu que 15 !
 
Quelques uns (unes) voient en elle une des grandes poétesses 
 de langue française.  

 


  Elle vécut et mourut dans une maison qui s'appelait "Solitude" 
  à Villeneuve/Lot.

 

"Les premiers poèmes de Sabine (poèmes d'enfant) ont été publiés à Poitiers lorsque Sabine n'avait que 13 ans (avec une préface par Anna de Noailles). Les poèmes posthumes ont été publiés par Stock, avec une introduction de François Millepierres. 
Sabine a gagné de nombreux prix de poésie. Elle a reçu l'admiration d'Anna de Noailles, Jean Richepin, Marcel Prévost, etc. C'est ce dernier qui a attesté publiquement de l'authenticité des poèmes de Sabine.
 En fait, à son époque, presque personne ne doutait que les poèmes étaient de sa main. C'est plus tard que certaines personnes ont refusé de croire qu'une enfant puisse être aussi douée. Malgré tout, c'est la minorité. 
La majorité ne doute pas de leur authenticité. Qui d'autre pourrait d'ailleurs parler de la maladie et de la douleur avec de tels accents?"

Renseignements aimablement communiqués par Odile Ayral-Clause
Site sur Sabine: http://www.calpoly.edu/~oayral

Souvent bouleversante,, injustement méconnue, morte à 15 ans, comme Rimbaud (mais en vrai!!) 

"On n'a plus grand chose à apprendre quand à 12 ans on a déjà écrit:

" Vous qui lisez, le front penché, dans une chambre,
ne sentez-vous donc pas qu'au seuil froid de novembre
tout ce maroquin neuf et ces parchemins d'or
sont faits pour que, ce soir, on traduise dehors,
uniquement les strophes du platane? "

et quand avant de mourir à 15 ans, on trouve cette force?

"N'oublie pas la chanson du soleil, Vassili.
Elle est dans les chemins craquelés de l'été,
dans la paille des meules,
dans le bois sec de ton armoire,
si tu sais bien l'entendre.
Elle est aussi dans le cri du criquet.
Vassili, Vassili, parce que tu as froid, ce soir,
ne nie pas le soleil. "


ou encore son dernier cri:

"La chaise vide... Ah comment feras-tu
pour supporter cela?
Et moi qui pars, comment ferai-je
pour supporter le reste? "

Ses poèmes étaient rassemblés dans trois recueils : "Premiers poèmes", "Chemins" et  "Douleurs, je vous déteste".

Actuellement aucune de ses oeuvres n'est publiées au niveau national et elle n'apparaît dans aucune des anthologies les plus importantes (alors qu'il y a plus d'émotion, de vérité et de poésie dans certains de ses vers que dans bien des "productions poétiques"); une biographie "Sabine SICAUD ou le Rêve inachevé"(reproduisant la plupart de ses poèmes) a été écrite en 1996 par Odile Ayral-Clause, professeur de français dans une université de Californie, toujours disponible aux Cahiers d’Aquitaine (éditeur indépendant de Bordeaux), et, aussi, un recueil :" Les poèmes de Sabine Sicaud  " édité par Stock en 1958 et diffusé encore par la Librairie QUESSEVEUR
2, place des laitiers/cornières
F - 47000 AGEN

 Au loin, la lueur d'une lampe ou d'une étoile ;
Devant la porte, un peu d'air embaumé...
Comme c'est simple, vois !...

Le chemin de sable

  Ne pas se rappeler en suivant ce chemin...
Ne pas se rappeler... Je te donnais la main.
Nos pas étaient semblables,
Nos ombres s'accordaient devant nous sur le sable,
Nous regardions très loin ou tout près, simplement.
L'air sentait ce qu'il sent en ce moment.
Le vent ne venait pas de l'Océan. De là
Ni d'ailleurs. Pas de vent. Pas de nuage. Un pin
Dont le jumeau fut coupé dans le temps
Etait seul. Nous parlions ou nous ne parlions pas.
Nous passions, mais si sûrs de la belle heure stable !
Ne te retourne pas sur le chemin de sable.

Le chemin creux

Le vieux chemin creusé d'ornières ?
Il a trop plu.
Le vieux chemin de la Carrière,
Celui du vieux moulin qui ne moud plus,
Le chemin du Seigneur qui n'a plus de château,
Le chemin du Bourreau,
Le chemin de la malle-poste,
Et ceux qui les croisaient, tous les chemins herbus,
Tous les chemins pleins d'eau,
Tous les chemins perdus...
Entre les ronces hautes,
Les prunelliers, la douce-amère, les bryones,
Le vert était celui des grottes et le jaune
Celui de la mélancolie.
Même le gel craquant sous le pas des brebis
Y devient triste avant la nuit tombée.
Les chemins creux, la pluie,
Le givre gris,
Le dernier scarabée...

Prenons la route neuve
Qui sur un pont solide et neuf passe le fleuve.

 
Le chemin de crève-coeur

Un seul coeur ? Impossible
Si c'est par lui qu'on souffre et que l'on est heureux.
On dit : coeur douloureux,
Coeur torturé, coeur en lambeaux -
Puis : joyeux et léger comme un oiseau des Iles,
Un coeur si grand, si lourd, si gros
Qu'il n'y a plus de place
Pour rien d'autre que lui dans notre corps humain.
Puis évadé, baigné d'une grâce divine ?
Un coeur si plein
De tout le sang du monde et ne gardant la trace
Que d'une cicatrice fine qui s'efface ?
Impossible ! Il me faut plusieurs coeurs.
Le même ne peut pas oublier dans la joie
Tout ce qu'il a connu de détresse une fois
- Une fois ou plusieurs, chaque fois pour toujours -
Mon coeur se souviendrait qu'il fut un coeur trop lourd
Et ne serait jamais un coeur neuf, sans patrie,
Sans bagage à porter de vie en vie.

 
 
Vous parler ?

Vous parler ? Non. Je ne peux  pas.
Je préfère souffrir comme une plante,
Comme l'oiseau qui ne dit rien sur le tilleul.
Ils attendent. C'est bien. Puisqu'ils ne sont pas las
D'attendre, j'attendrai, de cette même attente.

Ils souffrent seuls. On doit apprendre à souffrir seul.
Je ne veux pas d'indifférents prêts à sourire
Ni d'amis gémissants. Que nul ne vienne.

La plante ne dit rien. L'oiseau se tait. Que dire ?
Cette douleur est seule au monde, quoi qu'on veuille.
Elle n'est pas celle des autres, c'est la mienne.

Une feuille a son mal qu'ignore l'autre feuille.
Et le mal de l'oiseau, l'autre oiseau n'en sait rien.

On ne sait pas. On ne sait pas. Qui se ressemble ?
Et se ressemblât-on, qu'importe. Il me convient
De n'entendre ce soir nulle parole vaine.

J'attends - comme le font derrière la fenêtre
Le vieil arbre sans geste et le pinson muet...
Une goutte d'eau pure, un peu de vent, qui sait ?
Qu'attendent-ils ? Nous l'attendrons ensemble.
Le soleil leur a dit qu'il reviendrait, peut-être...


 

 

La paix

Comment je l'imagine ?
Eh bien, je ne sais pas...
Peut-être enfant, très blonde, et tenant dans ses bras
Des branches de glycine ?

Peut-être plus petite encore, ne sachant
Que sourire et jaser dans un berceau penchant
Sous les doigts d'une vieille femme qui fredonne...

Parfois, je la crois vieille aussi... Belle, pourtant,
De la beauté de ces Madones
Qu'on voit dans les vitraux anciens. Longtemps -
Bien avant les vitraux - elle fut ce visage
Incliné sur la source, en un bleu paysage
Où les dieux grecs jouaient de la lyre, le soir.

Mais à peine un moment venait-elle s'asseoir
Au pied des oliviers, parmi les violettes.
Bellone avait tendu son arc... Il fallait fuir.
Elle a tant fui, la douce forme qu'on n'arrête
Que pour la menacer encore et la trahir !

Depuis que la terre est la terre
Elle fuit... Je la crois donc vieille et n'ose plus
Toucher au voile qui lui prête son mystère.
Est-elle humaine ? J'ai voulu
Voir un enfant aux prunelles si tendres !

Où ? Quand ? Sur quel chemin faut-il l'attendre
Et sous quels traits la reconnaîtront-ils
Ceux qui, depuis toujours, l'habillent de leur rêve ?
Est-elle dans le bleu de ce jour qui s'achève
Ou dans l'aube du rose avril ?

Ecartant, les blés mûrs, paysanne aux mains brunes
Sourit-elle au soldat blessé ?
Comment la voyez-vous, pauvres gens harassés,
Vous, mères qui pleurez, et vous, pêcheurs de lune ?

Est-elle retournée aux Bois sacrés,
Aux missels fleuris de légendes ?
Dort-elle, vieux Corot, dans les brouillards dorés ?
Dans les tiens, couleur de lavande,
Doux Puvis de Chavannes ? dans les tiens,
Peintre des Songes gris, mystérieux Carrière ?
Ou s'épanouit-elle, Henri Martin, dans ta lumière ?

Et puis, je me souviens...
Un son de flûte pur, si frais, aérien,
Parmi les accords lents et graves ; la sourdine
De bourdonnants violoncelles vous berçant
Comme un océan calme ; une cloche passant,
Un chant d'oiseau, la Musique divine,
Cette musique d'une flotte qui jouait,
Une nuit, dans le chaud silence d'une ville ;
Mozart te donnant sa grande âme, paix fragile...

Je me souviens... Mais c'est peut-être, au fond, qui sait ?
Bien plus simple... Et c'est toi qui, la connais,
Sans t'en douter, vieil homme en houppelande,
Vieux berger des sentiers blonds de genêts,
Cette paix des monts solitaires et des landes,
La paix qui n'a besoin que d'un grillon pour s'exprimer.

Au loin, la lueur d'une lampe ou d'une étoile ;
Devant la porte, un peu d'air embaumé...
Comme c'est simple, vois ! Qui parlait de tes voiles
Et pourquoi tant de mots pour te décrire ? Vois,
Qu'importent les images : maison blanche,
Oasis, arc-en-ciel, angélus, bleus dimanches !
Qu'importe la façon dont chacun porte en soi,
Même sans le savoir, ton reflet qui l'apaise,
Douceur promise aux coeurs de bonne volonté...

Ah ! tant de verbes, d'adjectifs, de parenthèses !
- Moi qui la sens parfois, dans le jardin, l'été,
Si près de se laisser convaincre et de rester
Quand les hommes se taisent...

 

 

 

Le cinéma

Aimes-tu voir les hommes s'agiter ?

Assis, tu regardes la foule .

Aimes-tu le désert ? Tu le parcours, l'été,

Sous un torrent de feu, sans autre peine

Que de laisser pour toi marcher les sables...

Plaines, montagnes, mers te livrent leurs secrets.

Et le pôle est si près

Que Nanouk, l'esquimau t'accueille en frère;

Et la jungle est si près

Que tu t'en vas avec le chasseur de panthères...

O beaux voyages que jamais tu ne ferais !

Vois , des fleurs s'ouvrent , des oiseaux t'invitent , vois :

Aux vergers d'Aladin s'emplissent des paniers...

Cueille des rêves... Evade-toi ...

Viens dans ce petit coin merveilleux et regarde...

Regarde ce miracle : un film qui passe ...

 

 

 

 

 

Filliou, quand je serai guérie,
Je ne veux voir que des choses très belles...

De somptueuses fleurs, toujours fleuries ;
Des paysages qui toujours se renouvellent,
Des couchers de soleil miraculeux, des villes
Pleines de palais blancs, de ponts, de campaniles
Et de lumières scintillantes... Des visages
Très beaux, très gais ; des danses
Comme dans ces ballets auxquels je pense,
Interprétés par Jean Borlin. Je veux des plages
Au décor de féerie,
Avec des étrangers sportifs aux noms de princes,
Des étrangères en souliers de pierreries
Et de splendides chiens neigeux aux jambes minces.

Je veux, frôlés de Rolls silencieuses,
De longs trottoirs de velours blond. Terrasses,
Orchestres bourdonnant de musiques heureuses...
Vois-tu, Filliou, le Carnaval qui passe ?
La Riviera débordante de roses ?
J'ai besoin de ne voir un instant que ces choses
Quand je serai guérie !

J'aurai ce châle aux éclatantes broderies
Qui fait songer aux courses espagnoles,
Des cheveux courts en auréole
Comme Maë Murray, des yeux qui rient,
Un teint de cuivre et l'air, non pas d'être guérie,
Mais de n'avoir jamais connu de maladie !

J'aurai tous les parfums, " les plus rares qui soient ",
Une chambre moderne aux nuances hardies,
Une piscine rouge et des coussins de soie
Un peu cubistes. J'ai besoin de fantaisie...

J'ai besoin de sorbets et de liqueurs glacées,
De fruits craquants, de raisins doux, d'amandes fraîches.
Peut-être d'ambroisie...
Ou simplement de mordre au coeur neuf d'une pêche ?

J'ai besoin d'oublier tant de sombres pensées,
Tant de bols de tisane et d'heures accablantes !
Il me faudra, vois-tu, des choses si vivantes
Et si belles, Filliou... si belles - ou si gaies !

Nul ne sait à quel point nous sommes fatiguées,
Toutes deux, de ce gris de la tapisserie,
De l'armoire immobile et de ces noires baies
Que le laurier nous tend derrière la fenêtre.

Tant de voyages, dis, de pays à connaître,
De choses qu'on rêvait, qui pourront être
Quand je serai guérie...


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